Roosevelt Bellevue, ex-ministre haïtien des Affaires sociales et du Travail

Roosevelt Bellevue, ex-ministre haïtien des Affaires sociales et du Travail

J’ai du me mettre à couvert depuis quelque temps après que des inconnus recherchaient l’endroit où je résidais. Et, par la suite, deux personnes, portant des lunettes noires, étaient venues m’attendre à l’entrée de ma résidence.

Barbancourt

le rhum des connaisseurs


Je mesure progressivement la gravité insécuritaire d’une telle tentative et sa dangerosité politique, lorsque mon passeport a été confisqué à la salle d’embarquement de l’aéroportToussaint Louverture. Sans motif administratif valable, une telle décision ne peut être assimilée qu’à une action politique criminelle à l’haïtienne, rappelant des méthodes dictatoriales obsolètes. Comme telle, elle conjugue intimidation liberticide et menaces insecuritaires avérées. 

Fort heureusement, j’ai pu échapper de bonnes grâces à ces deux tentatives de privation de liberté et de menaces physiques, condamnables par la charte des nations unies statuant sur le statut des libertés fondamentales. Elles sont lâches et constituent un manquement grave au respect de la liberté d’expression et de la dignité humaine. 

Au moins dans l’un des deux cas, le cynisme de l’ancien premier ministre Jacques Guy Lafontant, l’hypocrisie criminelle, la cruauté gratuite et la malhonnêteté du président Jovenel Moise sont à deplorer. Des informations recueillies de part et d’autres confortent cette thèse. Je me demande si dans cette confusion insecuritaire généralisée, ne m’aurait réservé, toute proportion gardée, le même sort que l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, feu Fleurivier Dorval, lâchement assassiné! Car, une fois mon vol raté de manière gratuite, j’ai laissé l’aéroport vers 8 heures du soir! Heureusement, j’ai été escorté, ce jour, là pour rejoindre mon domicile. 

Si l’objectif visé était de m’éliminer ou m’intimider afin de tuer dans l’œuf tout espoir de justice,  relativement au dossier des kits scolaires, c’est encore un pari raté! Je reste fidèle à ma conviction. Ma dignité n’est pas à vendre. Je n’entends rien céder sur l’exigence d’une clarification d’Etat et d’excuses publiques.

Ancien  Ministre, travailleur, progressiste, vous  n’avez eu, MR, le président, aucun reproche sérieux à me faire sur ma gestion responsable. Interpellé par la gravité de la misère, de la pauvreté de nos concitoyens, j’ai été pourtant considéré comme un serviteur gênant au point de devenir un homme à dégager ou à abattre. Ma volonté de restructurer le ministère haïtien des affaires sociales, d’œuvrer en faveur de l’amélioration des conditions misérables des plus démunis, de réduire la courbe du chômage par l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, de mettre en route un programme d’assurance alimentaire et sanitaire pour les enfants issus de familles en grande précarité(…)heurtait vos décisions de basculer tous les fonds du dit Ministère vers FAES. Environnement où ceux-ci peuvent être plus facilement utilisés à des fins douteuses. Il est aussiimportant de mentionner les perspectives de réformes entaméesau niveau de l’ONA et l’OFATMA ayant largement contribué à l’amélioration de la qualité de certains services destinés aux différends bénéficiaires. 

Les raisons sont devenues de plus en plus évidentes, vous n’avez aucun projet social, assuranciel, viable et ambitieux pour le pays. Depuis mon départ, le ministère des Affaires Sociales et du Travail n’est ni existentiel, ni fonctionnel, au point de devenir aujourd’hui un entrepôt. Pourtant son budget prend des proportions exponentielles importantes. Parallèlement, ma détermination de lutter de manière transparente et honnête contre la corruption a été votre grand dilemme. J’ai pu de manière courageuse, commencer à envoyer des signaux clairs:Mobilité de personnel, réduction des effectifs fictifs et des chèques zombis, restructuration du service de comptabilité, celui des ressources humaines…perspective d’orientation des fonds vers des programmes sociaux emblématiques liés au développement durable! 

   Je n’ai pas été à l’école de la politicaillerie haïtienne! Je n’en ai aucun regret! 

 Le dossier des kits scolaires dont vous aimeriez que j’en fasse les frais s’inscrit dans ma lutte véritable contre la corruption. J’ai été écarté par ce dossier d’’Etat afin uniquement que les fonds ne soient pas utilisés conforment au projet de départ, mais confisqués par un réseau mafieux de votre entourage, MR le président, dont Marckenson Antoine, votre démarcheur, au service de votre épouse. Vous ne pouvez pas veritablement luttercontre la corruption, c’est le pillier de votre mecanisme de gouvernement. 

Par ailleurs, difficile de vous faire confiance, MR, le President,en parlant de corruption, lorsque vous faites fi des prescriptions démocratiques fondant la lutte efficace contre la corruption sur l’indépendance et le perfectionnement des institutions de contrôle et de régulation. LULLC, UCREF, assignées à cette vocation sont à vos ordres. Le Parlement haïtien (dont les résultats sont discutables) n’est plus. La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif affaiblie, au regard de ses prérogatives normatives constitutionnelles régulatrices. Or, on ne saurait ignorer son apport pertinent relativement au dossier Petrocaraibe.  

Il ne serait pas anodin, d’attirer l’attention de la communauté internationale particulièrement, l’OEA, l’ONU, l’Union européenne sur la gravité de la déliquescence de la démocratie haïtienne. Patrimoine de l’humanité, la démocratie dénote une communauté de destin politique, sociétale qui lie tous les pays adoptant son modèle de gouvernance. En Haiti, elle est plus que jamais menacée dans ses fondements institutionnels, sa vocation sociale et entrepreunariale. Pour l’heure, cette Républiquedemeure l’un des  pays de la caraïbe où la démocratie est vraiment en danger. Sa constitution devient une marionnette au service d’un président qui assujettit toutes les institutions à ses fantasmes et obsessions dictatoriales. Le parlement est dysfonctionnel, un nouveau CEP constitué en dehors des prescrits constitutionnels. La révision de la constitutionnécéssaire, mais engagée dans cette même perspective arbitraire. L’affaiblissement de la puissance régulatrice de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif précité, n’en est pas exempt, pourtant dans un contexte de corruption généralisé. L’institution judiciaire, pris en otage par le pouvoir exécutif, fonctionne sous dictée présidentielle. Les auteurs de crimes, de kidnapping proches de l’exécutif sont farouchement protégés. Les opposants ou membres de l’opposition sont persécutés, assassinés et jetés en prison de façon arbitraire. 

La démocratie au regard de sa vocation liée au développement durable systémique devient alors inopérante tant du point de vue procédurale que performante. Elle est amputée de ses capacités régaliennes de garantir un environnement propice à la prospérité, l’investissement, l’épanouissement individuel et collectif, le renforcement des institutions, la bonne gouvernance, l’Etat de droit. 

On assiste au contraire à une société bloquée, à une gouvernance étatique stérile, résultat d’un véritable amateurisme d’ingénierie sociale, politique, institutionnelle, économique corrompue et contre productrice. Le compagnonnage, le clientélisme, l’incompétence, le népotisme, la gangsterisation « légale », sociale et institutionnelle en deviennent le dénominateur commun. 

À l’évidence, on est au carrefour d’un sacré défi géopolitique, régional, transnational de dégénérescence de la démocratie, surtout en matière de violation des droits humains fondamentaux et de défaillance des institutions républicaines. Il est évident, la démocratie reste l’un des piliers vivants des valeurs universelles qui ne peuvent pas mourir! Sauf qu’elle a besoin de ses gardiens, de ses ayants droits nationaux et internationaux pour voler à son secours dans des circonstances atypiques de son affaiblissement. Le cas d’Hait pourra t-il servir d’exception? 

En effet, l’alternance politique classique peut puiser dans le suffrage universel (électoral), un soupape de sécurité régulateur de la démocratie politique. En vertu du respect ou non des prescrits démocratiques régissant son mode opératoire, le processus électoral peut conduire efficacement ou biaiser une telle perspective. Pour mener à  bien une telle mission, des exigences démocratiques minimales doivent être respectées. Les élections doivent être libres et équitables. Elles sont ‘’libres lorsqu’elles permettent à chaque citoyen de voter sans crainte de représailles’’. Elles sont ‘’équitables quand tous les votes sont comptabilisés comme égaux’’. Ainsi, un tel processus requiert le respect des valeurs de transparence, d’impartialité, de fiabilité que surplombent l’égalité politique et l’éthique des responsabilités. Toute proportion gardée, une panoplie de circonstances semblent enlever au processus électoral haïtien actuel ces qualités indispensables: Le non respect des prescrits constitutionnels relativement à la composition du CEP, le manque de crédibilité, d’éthique politique, l’irresponsabilité decertaines autorités assurant la gouvernance étatique. En toute objectivité, le gouvernement de transition assuré par l’ex-président Jocelerme Privert a montré l’exemple démocratique quant au mode opératoire et à la finalité du processus électoral conduisant à l’élection du Président Jovenel Moise. 

L’expérience électorale américaine apporte évidemment à la face du monde, une formidable leçon de la puissance souveraine et régulatrice de la démocratie. Celle-ci a été malmenée dans ses fondements fondateurs! Mais elle a fini par se tenir debout! En effet, le 07 février prochain( 2021) dans un contextesociopolitique marqué par des années de turbulences sociopolitiques aggravées , de haines sociales aiguës, de mauvaise gouvernance, de clientélisme, d’échecs politiquescatatrophiques, la démocratie haïtienne affrontera sa rude épreuve! On espère qu’elle ne va pas mourir! Mais restera debout! L’alternance démocratique classique finira par l’emporter en douce, conformément au respect de l’article 134-2 de la constitution haïtienne : « L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présentiel. Le président élu entre en fonction le 07 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant la date de son élection, le président élu entre fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé commencer le 07 février de l’année de l’élection ». Notons qu’après le départ du président Michel Martelly, en 2015, l’élection prévue en cette année a eu lieu en 2016. Cette prévision en douceur sera au rendez-vous si, par respect pour la constitution,, le président Jovenel Moise accepte de quitter délibérément le pouvoir à cette échéance! Autrement, c’est difficile de prévoir ce que va nous réserver l’avenir. 

Il faudra noter que le président Jovenel Moise a compliquél’équation en s’appuyant sur la même référenceconstitutionnelle, démocratique pour constater la fin du mandatdes Sénateurs; or dans leur cas, tel que le stipule l’article 92-2 de la constitution haïtienne amendée, le raisonnement paraît tout à fait nuancé : “les Sénateurs sont élus pour six ans et sontindéfiniment rééligibles. Ils entrent en fonction le deuxièmelundi qui suit leurs élections. Au cas où les élections ne peuventaboutir avant le deuxième lundi de janvier, les Sénateurs élusentrent en fonction, immédiatement après la validation du scrutin et leur mandat de six ans est censé  avoir commencé, ledeuxième lundi de janvier de l’année de l’entrée en fonction.”

Il est évident que la nuance de constitutionnalité paraîtdavantage nuancée. Retenons que, pour ce qui concerne les Sénateurs, c’est l’année de l’entrée en fonction qui prévaut. Tandis que pour le président, c’est l’année de l’élection. En raison du retard accusé par rapport à la poursuite de l’élection de 2015, celle-ci a eu lieu en 2016. La déduction est logique. Par aillleurs, l’article134-2 et 92-2 devont faire l’objet à l’avenird’un projet loi afin d’éviter la réedition d’une telle complexitéconstitutionnelle et cacophonie électorale..

Au nom de l’éthique de conviction démocratique, d’exemplaritéinstitutionnelle regalienne, et présidentielle, le mandat du président Jovenel Moise devra arriver à terme le 07 février 2021. Devra t-il partir pour autant? Absolument! Sauf, en cas d’unaccord politico-démocratique pouvant ramener, le calme, la confiance étatico-politique, la sécurité, la paix sociale, l’investissement, la relance de l’économie, le bon déroulementdes élections. Perspective difficile dans ce contextesociopolitique hyper fracturé. D’autant plus difficile, avec les résultats décevants que l’on connaît. La population semble en être fortement lassée d’une gouvernance inqualifiable en matièrede gabegies administratives, de corruption, de l’effondrementinstitutionnel, de dégradation de l’environnement sécuritaire, de création d’emploi, de croissance économique, de mise à malsévère de l’Etat de droit. 

L’alternance mobilisatrice, incarne le garde-fou, la puissance de la souveraineté populaire, qui permet à la démocratie de se ressourcer, de se renouveler, en accordant à un peuple, martyrisé, désespéré par rapport à ses attentes électorales, les moyens pacifiques légitimes de réécrire son propre destin. La logique est simple. Un mandat électoral, à plus forte raison présidentiel, n’est pas un héritage familial, ou généalogique sans contrepartie préalablement définie. La leçon américaine en est assez illustratrice. D’autres existent de part de le monde. Si les engagements ne sont pas tenus, les fondements institutionnels attaqués, ou renversés, les donateurs du pouvoir ou les votants déçus, la souveraineté populaire, de manière la plus démocratique possible, peut reprendre ses droits. C’est alors un droit universel sacré, inaliénable de toutes les démocraties! Les héritiers nationaux et transnationaux de la démocratie devraientunir leur force pour contrer cette unième dérive géopolitique de la démocratie politique.

Le président américain, nouvellement élu, Joe Biden, en combattant, corps et âme, la dérive démocratie américaine, ne devra, t-il pas, si besoin est, par solidarité et éthique de conviction démocratique, apporter sa contribution au respect d’une telle échéance constitutionnelle?  Il serait assez incompréhensible que la situation haïtienne fasse l’objet d’un cas d’exception. Il faut espérer que la mobilisation citoyenne en raison de cette « légitime défense », permettra de fertiliser des germes d’espérances légitimes, en matière de liberté de parole, de  sécurité publique, de paix sociale, d’opportunités d’investir, de s’épanouir, de vivre ensemble et de création de richesses dont l’espace social haïtien a tant souffert et rêve tant! 

Mais l’opposition politique haïtienne, à l’avant garde d’une telle mission démocratique et citoyenne,, semble, après tant de retards, être en bonne posture pour envoyer un signal d’unité nécessaire à son succès. Il vous est impératif de vous mettre à la hauteur du défi! Le monde vous regarde! Absolument, unconsensus national de leadership citoyen éclairé, centré sur la perspective d’une victoire collective, devra prendre le dessus par rapport à toutes formes de divergences idéologiques, ou tout semblant d’égo présidentialiste. Parallèlement,, tout doit être fait pour éviter les mauvais souvenirs des gouvernancestransitionnelles antérieures contre-productives. 

Tout compte fait, une nouvelle conscience politique citoyenne et l’émergence d’un nouveau leadership nationaliste éclairé, pragmatique, en phase avec les complexités et opportunités de la mondialisation géopolitique et transnationale,  devrait servir d’inspiration modélisante, à la future gouvernance étatique haïtienne, que l’on souhaite, proactive, intelligente, stratégique et performante! 

Que Dieu bénisse Haiti

Bellevue Roosevelt, PHD, ex- ministre haïtien des affaires sociales et du travail.

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