« Pour son œuvre, son enseignement et son courage, nous décidons que Marc Bloch entrera au Panthéon », a déclaré Emmanuel Macron samedi 23 novembre, à l’occasion du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944. Le résistant et historien, « l’homme des Lumières dans l’armée des ombres » tel que l’a qualifié le chef de l’Etat, a été assassiné
« Pour son œuvre, son enseignement et son courage, nous décidons que Marc Bloch entrera au Panthéon », a déclaré Emmanuel Macron samedi 23 novembre, à l’occasion du 80e anniversaire de la Libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944. Le résistant et historien, « l’homme des Lumières dans l’armée des ombres » tel que l’a qualifié le chef de l’Etat, a été assassiné par la Gestapo en 1944 près de Lyon. Marc Bloch avait fait une partie de sa carrière à l’université de Strasbourg.
La famille de Marc Bloch a salué sa panthéonisation, quatre-vingts ans après sa mort, à laquelle appelaient depuis longtemps responsables politiques et historiens. « C’est une très grande émotion et fierté. Il s’est donné corps et âme pour la liberté et contre le nazisme », a déclaré sa petite-fille Suzette Bloch à l’Agence France-Presse (AFP).
Professeur d’histoire du Moyen-Age à l’université de Strasbourg de 1919 à 1936, Marc Bloch a renouvelé en profondeur le champ de la recherche historique en l’étendant à la sociologie, la géographie, la psychologie et l’économie. En 1929, il a notamment fondé avec Lucien Febvre la revue des Annales d’histoire économique et sociale, à la résonance universitaire mondiale.
Un engagement dans la Résistance en 1943
Capitaine et croix de guerre en 1914-1918, de nouveau mobilisé en 1939, Marc Bloch a analysé de façon implacable dans L’Etrange défaite la débâcle française face à l’offensive allemande en mai-juin 1940. Un récit « pour les générations à venir », a souligné Emmanuel Macron, en évoquant la « volonté française émoussée par le conservatisme, endormi par le conformisme, amolli par la bureaucratie, si délaissée par une partie de ses élites ». « Lucidité cinglante qui nous frappe aujourd’hui encore », a-t-il ajouté.
Resté en France malgré la répression qui s’abattait sur les juifs, Marc Bloch s’engage dans la Résistance en 1943, dont il devient un des chefs pour la région lyonnaise. « Marc Bloch ne désespéra jamais du ressort de notre peuple, certain que le courage n’est pas une affaire de carrière ou de caste », a résumé le chef de l’Etat. Il est arrêté le 8 mars 1944 à Lyon, emprisonné et torturé à la prison de Montluc, et fusillé le 16 juin avec 29 de ses camarades.
Dans une lettre au président de la République, dont l’AFP a obtenu copie, la famille demande, au regard de son engagement, que « l’extrême droite, dans toutes ses formes, soit exclue de toute participation à la cérémonie » d’entrée au Panthéon. « L’œuvre de ce patriote convaincu est profondément antinationaliste, construite contre le roman national et la réduction de l’histoire française aux frontières nationales », écrivent sa petite-fille Suzette Bloch et son arrière-petit-fils Matis Bloch, au nom des ayants droit.
Le 19 février, la présence de Marine Le Pen à la panthéonisation de Missak Manouchian, contre l’avis de ses descendants et du président, avait fait polémique. Quelques jours plus tôt, elle avait, en revanche, renoncé à se rendre à l’hommage national à Robert Badinter. La famille souhaite aussi que l’hommage soit « purement civil », comme Marc Bloch le demandait dans son testament.
Depuis 2017, Emmanuel Macron a déjà panthéonisé l’écrivain Maurice Genevoix, la figure politique française et européenne Simone Veil, la star du music-hall Joséphine Baker et le résistant communiste d’origine arménienne Missak Manouchian. Il a aussi annoncé celle de Robert Badinter, le père de l’abolition de la peine de mort mort le 9 février, qui entrera au Panthéon avant Marc Bloch en 2025, selon l’entourage présidentiel à l’Agence France-Presse (AFP). La décision de panthéoniser le résistant et historien a été prise début novembre par le président de la République et la cérémonie aura lieu avant la fin du quinquennat, selon une source à l’Elysée au Monde.
Plus de 130 000 « malgré-nous »
Le chef de l’Etat a également appelé à « reconnaître » et enseigner « la tragédie des “malgré-nous” » , ces Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l’armée nazie. « Ces enfants d’Alsace et de Moselle furent capturés, habillés d’un uniforme qu’ils détestaient, au service d’une cause qui les faisaient esclaves, instruments d’un crime qui les tuaient aussi, menacés de représailles s’ils tentaient de fuir », a-t-il déclaré dans un discours au palais universitaire de Strasbourg.
L’incorporation de force dans la Wehrmacht, mais aussi dans la Luftwaffe et la Waffen-SS, de plus de 130 000 Alsaciens et Mosellans, de 1942 à 1945, a constitué pour toute une génération de « malgré-nous » un tabou et un traumatisme toujours bien présents. Près de 10 % de la population régionale ont été concernés par cet ordre du IIIe Reich, qui avait annexé de fait l’Alsace et la Moselle après l’armistice de 1940.
Environ 40 000 de ces hommes ne sont jamais revenus : 30 000 ont péri lors des combats ou en captivité et 10 000 à 12 000 sont portés disparus. De très nombreux Alsaciens ou Mosellans sont aujourd’hui filles ou fils de « malgré-nous », parmi lesquels l’ancien maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries.
Contraints de porter l’uniforme ennemi sous peine de représailles contre leur famille, les incorporés de force furent très majoritairement affectés dans des unités combattant sur le front russe. Nombre d’entre eux y furent faits prisonniers ou désertèrent, croyant pouvoir rejoindre la France Libre. Le dernier « malgré-nous » n’en revint qu’en 1955.
Premier hommage public aux « malgré-nous » en 2010
Les associations de survivants et leurs descendants voudraient obtenir de l’Allemagne la reconnaissance d’un « crime contre l’humanité ». En 1982, Berlin, qui n’a jamais émis de déclaration officielle sur la question, a versé 128 millions d’euros de dommages et intérêts aux « malgré-nous » et à leurs ayants droit.
Quelque 6 000 femmes alsaciennes ou mosellanes ont également été envoyées en Allemagne pour y être « germanisées », enrôlées dans des services de l’armée ou dans des usines de guerre. Ces « malgré-elles » ont dû attendre 2008 pour bénéficier à leur tour d’une indemnisation.
En 2010, Nicolas Sarkozy fut le premier président français à rendre un hommage public aux « malgré-nous », dont l’histoire a été une longue source de malentendus et de méfiance entre le reste de la France et ces deux provinces françaises et germanophones. Victimes dans leur immense majorité du nazisme, quelques « malgré-nous » furent cependant des bourreaux dans les rangs de la Waffen-SS.
Quatorze Alsaciens (un engagé volontaire et 13 « malgré-nous ») furent ainsi condamnés en 1953 pour leur participation à la tuerie d’Oradour-sur-Glane, bourgade du Limousin où 642 personnes furent massacrées par une unité SS le 10 juin 1944. Sous la pression des élus alsaciens, hostiles à l’idée qu’Alsaciens et soldats allemands puissent être mis sur le même plan, les « malgré-nous » avaient ensuite été amnistiés par le Parlement, au grand dam de certains Limousins.
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