Haïti face à la crise économique due au Covid-19

Haïti face à la crise économique due au Covid-19

Depuis l’annonce des mesures restrictives prises par l’administration de Jovenel Moïse pour endiguer la propagation du nouveau Coronavirus dans le pays, l’économie haïtienne, déjà malade, fait face à de nombreuses difficultés. Le confinement partiel vient ralentir l’activité des habitants et du gouvernement engendrant de lourdes conséquences sur l’économie. Nous vous proposons de mieux cerner le sujet avec l’économiste Enomy Germain. Interview.

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Haïti 24 : Quel impact le ralentissement des activités dû au confinement peut avoir sur l’économie haïtienne ?

Enomy Germain : Les conséquences du Coronavirus sur l’économie haïtienne sont multiples. Elles concernent le secteur d’exportation en premier lieu. La sous-traitance, qui représente près de 90 % d’exportations, le plus important dans ce secteur, ne fonctionne pas. Le confinement empêche les employés d’aller au travail. Depuis, environ 60 000 personnes sont en chômage technique. De plus, l’un des problèmes majeurs engendrés par le confinement est la rentrée des devises, c’est-à-dire la circulation du dollars qui ne se fait pas à travers les transferts. La diaspora haïtienne n’est plus en mesure d’injecter du dollars dans l’économie.

Il ne faut pas oublier le secteur touristique. Certes, il fait déjà face à de nombreux défis, néanmoins de 2014 à 2018, les recettes touristiques ont apporté 400 millions de dollars américains à l’économie. Face à cette maladie, ce secteur n’existe plus, ce qui a une conséquence dans la fermeture des entreprises touristiques, des petites entreprises (artisanales et autres), des startups, des hôtels.

Tout ceci vont avoir des conséquences lourdes sur le taux de change, l’inflation, la croissance économique. Il ne faut pas oublier que l’année dernière, nous avons enregistré une croissance négative.

Haïti 24 : Quelles seront les conséquences du confinement sur les ménages sachant que plusieurs milliers de familles vivent au jour le jour ?

E.G. : La population pourrait périr de faim. Nous ne pouvons omettre que les ménages vivent chaque jour des bénéfices que leurs commerces leur rapportent. Dans ce contexte, ils se sentent dans l’obligation de vaquer à leurs occupations économiques pour répondre à leurs besoins. Peut-on les forcer à rester chez eux ? Je n’en suis pas sûr.

Haïti 24 : Quelle prévision peut-on faire sur l’inflation avec la surfacturation des prix des produits de première nécessité ?

E.G. : Nous ne pouvons faire une estimation de l’inflation vu que l’Institut haïtien des statistiques et d’informatique (IHSI) est actuellement fermé et ne fournit aucune donnée à ce sujet. Cependant, si cette situation perdure, il est clair que l’inflation va augmenter. Haïti, qui n’a aucune capacité pour gérer la pandémie, va se confronter à la réticence de ses partenaires commerciaux à engager des échanges à cause des risques de contamination trop grandes. Cela pourrait créer une rareté au niveau des marchandises disponibles, ce que j’appelle le “Choc de l’offre”. Compte tenu du fait que la quantité des marchandises disponibles ne pourra pas répondre à la demande, cela crée l’augmentation des prix des produits, d’où l’inflation.

Dans d’autres cas, c’est le stockage des produits pendant un certain temps, – ce qu’on appelle la rareté artificielle – par des entreprises qui créent l’inflation artificielle.

Haïti 24 : L’Etat haïtien veut forcer les ménages les plus démunis à rester chez eux, a fortiori, assisterons-nous à la montée du pourcentage des personnes vivant dans l’insécurité alimentaire ?

E.G. : Je ne pense pas que l’Etat a les capacités pour forcer les ménages à rester chez eux. Par ailleurs, ceux, qui feront le choix de rester à la maison malgré la précarité de leur économie, verront leur pouvoir d’achat se réduire considérablement. Déjà, la majorité de ces personnes se trouvaient sur la ligne qui sépare l’insécurité alimentaire de la sécurité alimentaire. Donc, d’ici la fin du mois de mars, bon nombre de ménages se retrouveront dans l’insécurité alimentaire.

A noter que selon la dernière Analyse du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), 3,7 millions de personnes vivent actuellement en insécurité alimentaire aiguë sévère (Phase 3-4 de l’IPC). Et les prévisions ont annoncé que si aucune action n’est posée, ce chiffre pourrait passer à 4,1 millions à partir du mois de mars 2020, d’où la justesse de notre analyse.

Haïti 24 : Le confinement empêche à la DGI et aux institutions douanières d’amasser les recettes habituelles, quel regard les autorités haïtiennes devraient-elles porter sur le prochain budget ?

E.G. : Le prochain cadre budgétaire fera face à un déficit de recette. C’est-à-dire que les sources de financement de ce cadre budgétaire vont considérablement être réduites, car l’on ne peut déterminer la durée du coronavirus dans le pays. En exemple, 6 mois avec le Covid-19 implique 6 mois de confinement, de ralentissement des activités économiques de l’Etat, des entreprises, des ménages. L’ensemble des partenaires de l’Union européenne, de la Banque mondiale ne pourront faire des donations comme à l’accoutumée. De ce fait, l’on peut s’attendre à la baisse considérable du montant du prochain budget.

En outre, si les autorités haïtiennes prévoient de dépasser le budget sur lequel nous fonctionnons actuellement, les 144 milliards de gourdes, l’on peut affirmer que ce budget ne sera pas crédible.

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