Gangs 2.0: Comment vivront les 5 millions d’habitants de Port-au-Prince en 2030 ?
Par Nesmy Manigat
LectureDominicale
Port-au-Prince vit déjà sur une bombe démographique, économique, urbanistique, environnementale et sécuritaire. Ceux qui s’amusent à armer les jeunes des quartiers pauvres ou qui les laissent dans un état de vulnérabilité en pensant les contrôler, ou en comptant sur la PNH devraient savoir que depuis la guerre de l’indépendance, voire depuis la proclamation de Sonthonax, l’haitien rend difficilement ses armes. Car se désarmer est pratiquement “se rendre”. Ils ne le feront éventuellement que contre un autre emploi.
Je n’ai aucun doute que des unités d’élites lourdement armées puissent mettre en déroute certains jeunes bandits afin de faire “régner la loi et l’ordre”. Mais, ce n’est que par l’éducation intégrale, une formation utile, des emplois et un cadre de vie décent qu’on désarme durablement une
jeunesse vulnérable. Une jeunesse exposée à toutes sortes de manipulations et d’aventures, les meilleures comme les pires.
Or, aujourd’hui, à Port-au-Prince, des “écoles professionnelles en gangstérisme” à ciel ouvert recrutent et graduent des jeunes qui acquièrent de solides compétences pour la survie, en organisation de bandes, en maniement des armes, en crime organisé, sans compter en communication, technologie, (pour ceux qui s’expriment dans les médias). En plus, il y a la quasi-certitude d’un emploi, risqué certes, mais rémunéré au bout de la formation. Mieux que les pouvoirs publics vu leur âge, ils exploitent habilement les plateformes numériques, les réseaux sociaux, pour avoir accès aux infos, pour alimenter les fakenews ou faire de la pub. Qui dit mieux, contre le chômage dans un environnement pauvre en lien social ? Qui dit mieux face à la banalisation du crime par certains responsables, dans beaucoup de médias, dans beaucoup de musiques ?
Comment vivront les 5 millions d’habitants de Port-au-Prince en 2030 ?
La réponse dépendra de l’organisation du grand Port-au-Prince par tous ses maires et d’une économie capable de créer des emplois pour les habitants et les jeunes en particulier. Sans des espaces verts entourant la ville, sans des terrains et parcs pour des jeunes, sans des loisirs et centres récréatifs, sans jardins publics, Port-au-Prince sera une grande prison, invivable, violente. Sans grandes avenues et sans routes, sans transport public organisé, il sera de plus en plus difficile pour les policiers, les ambulanciers, les pompiers etc.. de circuler pour des services d’urgence, sauf en hélicoptère. Sans des écoles et des centres de santé de qualité de proximité, pour éviter inutilement des grandes distances, les embouteillages continueront de rendre la vie des habitants misérables. Sans des chantiers de bâtiments et travaux publics pour construire/reconstruire, sans de nouvelles usines, de nouvelles entreprises de service, le chômage des jeunes aggravera les foyers de violence.
Aussi, les maires et le gouvernement central devraient poser le problème de violence des gangs dans un contexte plus global et plus prospectif. Ce n’est pas par hasard que la violence ait élu domicile dans les quartiers pauvres et ceci est une injustice intolérable. Mais personne n’est vraiment à l’abri. La probabilité que ces 5 millions d’habitants vivent encore au milieu des décombres de 2010 du centre-ville en 2030 est grande. La probabilité que Canaan et Cité Soleil ne fassent qu’un, sans services administratifs et organisation de plus, en 2030 reste grande. La probabilité que Petion-Vile et Jalousie ne fassent qu’un en 2030, sans augmentation de services publics, est aussi grande. Ni ville, ni bidonville, ni bassins versants, ni aires protégées, ni nouvelles routes, ni réseaux d’égouts, bref une vaste agglomération multiforme sans ou avec peu de services de base d’eau, d’électricité, sans emplois, un Port-au-Prince 2030 à éviter à tout prix. Ce sera encore un plus grand foyer de violences et la PNH y pourra peu.
Vivement, un nouveau cadre de vie dans toutes les villes du pays menacées comme Port-au-Prince. Vivement la révolution du #capitalhumain et des emplois-jeunes. Il n’y a pas de raccourcis pour les pays pour “changer le système”. Sinon toutes ces armes se retourneront les unes après les autres contre toute la société, en commençant par ceux qui dirigent. Les investissements privés, publics et la bonne gouvernance ne peuvent plus être des slogans pour les gouvernements. La bombe démographique et la bombe du chômage sont hélas déjà amorcées. Port-au-Prince et ses maires, ses éducateurs, ses sociologues, ses urbanistes, ses environnementalistes, ses architectes, ses employeurs, comme ses forces de Police ne devraient pas avoir le sommeil, non plus.
Il faut un grand rêve d’un grand Port-au-Prince, après celui d’Estimé avec des habitants profitant d’un cadre de vie plus décent, profitant d’une vue dégagée de la baie, des espaces verts, des aires protégés, des montagnes qui l’entourent. Mais sans un Etat de droit pour faire appliquer les lois, le respect du foncier et sans s’attaquer au phénomène de corruption qui gangrène la société, ce sera une mission impossible.
Sinon. l’autre option, fuyez la pieuvre pendant qu’il est encore temps car Haiti dispose heureusement de 27,750 km2. Investissez et créez des emplois ailleurs pour les jeunes. Ainsi, vous évitez de nourrir le monstre pour qu’il n’arrive pas de si tôt aux 5 millions, sans préparation. La république de Port-au-Prince étouffe Port-au-Prince.
#NouToutSanble #intelligencecollective #LekòlPaKaTann #PacteEducation