« Médecin guéris-toi, toi-même » voilà l’adage qui peut, le mieux, résumer la situation de la presse haïtienne en ce temps riche en mouvement de protestations, souvent émaillés de violences. En effet, loin des caméras, des déclarations et des notes émanant des responsables d’hôtels et d’entreprises privées annonçant leur fermeture comme pour annoncer des jours sombres pour le pays, la presse haïtienne, dans le silence le plus complet s’agonise sous le poids du « peyi lòk » et de ses conséquences financières. Grande gueule quand il faut parler des difficultés des autres secteurs. Langue de bois quand il faut parler de soi-même. La plupart des médias haïtiens sont en perte de puissance. Certains se résolvent à fermer leurs portes en catimini et d’autres, en mettant des journalistes « en disponibilité ».
Par Samuel Céliné
Les journalistes haïtiens font eux aussi les frais des violences qui accompagnent souvent les mouvements de protestations initiés par l’opposition réclamant la démission du président Jovenel Moïse du pouvoir. A entendre les animateurs des émissions politiques, les présentateurs des éditions de nouvelles, les reporters et les correspondants avec leurs « flash » en directe dans des manifestations de rues ou à lire les articles de presse, on pourrait pourtant vite conclure le contraire.
Et pourtant derrière ce masque de liberté ou d’autosuffisance, le poids de la crise presse si bien les médias que certains compressent carrément. Ici, radios, télévisions, journaux et agences en ligne n’ont pas deux choix : « Compresser l’équipe si l’on veut rester en vie ». Dans cette logique, des dizaines de journalistes sont déjà, au nom de la « mise en disponibilité » partis pour le chômage doré en gardant l’espoir de revenir, « si la situation économique du pays s’améliore » comme c’est souvent mentionné par les directions des médias victimes de la crise.
C’est le cas par exemple de certains employés du Journal Le Nouvelliste qui le 4 novembre dernier, en lieu et place de l’habituel appel à prendre part à la réunion de rédaction, ont reçu un appel bien surprenant leur apprenant que “compte tenu de la situation difficile que connait le pays et qui affecte négativement les revenus du Journal”, la direction se voit dans l’obligation de les mettre en disponibilité. Foutu. Pas moins d’une quinzaine d’employés sont touchés par cette décision qui pousse un septuagénaire, travaillant depuis des lustres au plus ancien quotidien du pays à s’exclamer : « Menm sou anbago, Le Nouvelliste pa t janm twouve l nan yon sitiyasyon pou l te oblije mete moun an disponibilite ». Mais ici, le jeu force à couper. Il en est de la survie de l’institution.
Si Le Nouvelliste, du haut de ses 121 ans souffre ainsi de la crise, que dire de son principal concurrent, le journal Le National ? Très prometteur lors de ses premières parutions, l’institution qui a voulu équilibrer le marché de la presse écrite en Haïti après la fermeture du journal Le Matin est déjà sous ses dents. Là-bas, pas de révocation ni de mise en disponibilité jusqu’à date selon un employé qui dévoile toutefois que le journal peine à répondre à ses obligations de fin de mois. Conséquence : « les employés sont déjà au quatrième mois sans percevoir leurs salaires ».
Quant à « Challenge Magazine », elle a longtemps réalisé la nécessité d’abandonner le challenge et jette l’éponge en avril 2019 toujours à cause de la situation économique provoquée alors par la première vague de « peyi lòk ».
La situation n’est pas moins catastrophique pour la radio et la télévision. A Radio Métropole, la crise laisse son empreinte en poussant les responsables à réduire de 30% le salaire des employés. A cela, il faut mentionner la révocation d’un employé et la mise en disponibilité d’un journaliste trainant 10 ans de carrière au sein de l’institution.
Plus haut, à Pétion-ville, les responsables de la Rfm n’ont pas opté pour une réduction de salaire des employés pour pouvoir tenir le coup. Au début du mois de novembre, les employés étaient surpris d’apprendre la décision de fermer temporairement les directions les plus budgétivores de l’institution. Pas moins de 10 employés sont aujourd’hui sous le macadam. Dans le même bâtiment, les responsables de Scoop Fm s’adonnent déjà à la difficile tâche de fermer certaines émissions en espérant pouvoir tenir avec le reste. On signale déjà la mise à pied de trois journalistes.
Chez la RSF, la menace de perdre son emploi s’annonce déjà à travers un circulaire mettant au parfum les employés d’une « prochaine réduction de l’équipe » afin d’éviter la fin de la Radio sans fin bien avant la fin de la crise.
Certains médias, comme Radio Télé Ginen et Signal Fm jurent de ne pas recourir à ni l’une ni l’autre de ces méthodes pour se maintenir en vie. Cependant, loin de la bonne volonté de ne pas envoyer ses employés au chômage sur une forme ou sur une autre, Signal Fm devient si fragile que mêmes les frais de transport des journalistes qui doivent assurer la couverture des conférences de presse, font défaut ces derniers jours.
Au sein de la Radio Galaxie, on craint le pire mais la direction tente de rassurer. Les responsables expliquent aux employés qu’ils sont frappés de plein fouet par la crise mais « n’ont pas le courage de mettre certains en disponibilité ». Ils sont toutefois invités à faire preuve de rigueur afin de pouvoir tenir tête à leur nouvelle condition caractérisée par des retards dans le paiement. Selon une source contactée par Loop Haïti, de février à date, 4 employés de Galaxie sont frappés par des mesures de mis en disponibilité et le vendredi 15 novembre dernier, deux d’entre eux étaient présent à la station pour exiger que leur statut soit clarifié. La Galaxie est tellement sur le point de voir éteindre des étoiles que son éditorialiste Raphaël Théoma Daniel, dans son éditorial du 16 octobre 2019, parlait de l’existence d’une « liste noire » contenant les noms de certains employés candidats au « drame humain » qui est la révocation.
Dans cette chaine de médias qui s’agonisent sous l’effet de la crise, la Radio Vision 2000 ne fait pas exception. En effet, depuis le mois de février dernier, les responsables de cette station avaient décidé de mettre 3 journalistes en disponibilité. Ne voulant pas accepter cette décision, une journaliste a été révoquée, une autre réintégrée et le troisième est jusqu’à date au chômage donné sous le nom doré de « mise en disponibilité ».
Comme chez Vision 2000, la Radio télé Pacific avait décidé depuis le mois de février lors de la première vague de « peyi lok » de mettre à pied pas moins de 5 employés. Stratégie qui n’a pas résolu le problème puisque, aujourd’hui encore la station peine à payer ses employés avec régularité.
A Zénith Fm, malgré les sacrifices des employés qui portent cette station parmi les plus écoutées de la capitale pendant cette période de troubles politiques, la situation se résume en : « bay piti pa chich » selon un employé du 102.5. En effet, depuis des mois, les employés travaillent sans un salaire régulier faute de moyens, confie la source. Tout là-bas se résume dans la bonne volonté du patron qui se bat comme un diable dans un bénitier pour trouver de quoi huiler l’équipe.
Anéantissante pour certains, agonisante pour d’autres qui tiennent encore, cette situation de précarité au sein des médias inquiète les professionnels de la presse qui se voient hanter quotidiennement par l’idée de tomber soudainement dans un flippant chômage, puisque, comme dans les animaux malades de la pestes, les médias ne sont pas tous fermés mais sont tous frappés par la crise que la politique impose au pays.
Par Samuel Céliné
Source : Loop Haïti )
2 commentaires