Comment le COVID 19 aggrave le sort des enfants en domesticité

Comment le COVID 19 aggrave le sort des enfants en domesticité

19 mars 2020, le président de la république a annoncé à la population deux cas confirmés de coronavirus dans le pays et a, du même coup, annoncé un ensemble de mesures visant, dit-on, à protéger la population contre ce virus. Parmi les mesures annoncées, on peut citer : la fermeture des usines, la réduction du nombre de personnes dans un espace à dix, un confinement à « demi-mesure » et la fermeture complète des établissements scolaires. Un ensemble de mesures qui, pour plus d’un, ont été prises sans une analyse de contexte. Cela est tellement vrai, quelque jours plus tard, le gouvernement a dû faire marche arrière sur certaines de ces mesures, notamment sur la fermeture des usines, suite à l’intervention de l’ambassade américaine.

Nous nous proposons ici, d’attirer l’attention sur l’ensemble des conséquences que pourraient avoir la fermeture des établissements scolaires sur les enfants, plus particulièrement, ceux qui sont en situation de restavèk. Il ne faut pas perdre de vue que nous avons système éducatif fragilisé auquel la pandémie du COVID 19 apporte un coup fatal. Puisque ce système continuera, avec cette pandémie, de créer de façon, encore, plus importante l’inégalité dans l’apprentissage. C’est une évidence absolue, dans le pays nous avons une éducation à plusieurs vitesses où il y a une école pour ceux qui ont les moyens et une autre pour ceux qui n’en ont pas. Dans chacune d’elles la formation est différente. Une situation que les gouvernements qui se succèdent au pouvoir ne veulent pas ou ne peuvent pas résoudre. Au final c’est la société haïtienne qui en paie la conséquence, avec une stratification sociale importante où, d’un coté, on a une minorité très riche et la grande majorité croupît dans une misère fabriquée.
Le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle par le biais de son ministre M. Agénor Cadet a annoncé un ensemble de dispositions, comme par exemple : télé-enseignement. Pour beaucoup des citoyennes et citoyens avisés, cette annonce est teintée de légèreté et de mépris pour une catégorie d’enfant que ce système ne cesse de marginaliser. Ainsi, on a vite compris que l’annonce de cette disposition, abracadabrante, n’était que pour la consommation Internationale. Car le concerné n’a même pas essayé d’y donner suite. Nous voulons croire que le Ministre savait, exactement, de quoi il parlait, quand il brandissait le télé-enseignement. Celui-ci demande un ensemble d’infrastructures, notamment, l’électricité. Pour citer le plus important. Et, on sait, pertinemment, dans l’état actuel des choses, l’électricité est devenue un produit de plus en plus rare. La quasi-totalité du pays est plongée dans le « black out ». Par conséquent, soit que, le télé-enseignement que le ministre Cadet a annoncé était un leurre, soit qu’il ne visait pas tous les enfants. Dans ce dernier cas, nous avons un Ministre qui a choisi, à dessein, de favoriser une catégorie d’enfants au détriment d’une autre. En conséquence, l’élargissement de fossé existant au sein de cette société entre les enfants des familles aisées et ceux des familles appauvries, sera encore plus considérable et continuera de caractériser cette société.
On doit se rappeler, dans le continent américain, Haïti est le pays où il y a beaucoup plus d’enfants en âge scolaire qui ne vont pas à l’école. Chavannes Jean-Baptiste (2015) mentionne 33% des enfants haïtiens en âge scolaire qui ne vont pas à l’école. Une situation qui peut être expliquée par l’appauvrissement des familles haïtiennes pris dans l’étau du système capitaliste qui valorise le profit individuel au détriment du bien-être collectif. Un système auquel cette pandémie porte un sacré coup en le mettant à nu.
La répercussion de cette pandémie sur l’apprentissage va être considérable. La Banque Mondiale (mai 2020) prévoit déjà une diminution de l’apprentissage et un taux important d’abandon scolaire pour les plus vulnérables. Dans cette catégorie, nous mettons l’emphase sur les enfants qui sont en situation de restavèk. Pour ces derniers, l’école représente, non seulement, un lieu d’apprentissage, mais aussi un lieu de refuge pour fuir la terreur qu’ils sont, souvent, l’objet au sein des familles où ils sont placés. Ainsi disons-nous, ils sont doublement victimes. Dans un premier temps, ils sont totalement coupés de l’apprentissage formel. Celui-ci qui n’a jamais été la priorité de la famille de placement, donc il ne le sera pas pendant la fermeture des écoles. D’ailleurs, même aux jours des classes ces familles-là utilisent tous les subterfuges pour retenir l’enfant à la maison dans l’objectif d’acquitter les tâches domestiques qui lui sont assignées. Cela étant dit, la pandémie du COVID 19 provoque pour ces enfants, non seulement, une cassure dans leur apprentissage formel, mais aussi une augmentation du travail domestique et le taux de maltraitance. Dans un second temps, comme il est mentionné plus haut, l’école représente pour eux un lieu de refuge. Ainsi constatons-nous, le temps passé à l’école leur est très bénéfique. Car ils sont à l’abri, ne serait-ce, pour une partie de la journée, de mauvais traitement et de lourdes tâches domestiques.
Nous disons les inégalités d’apprentissage entre les enfants en situation de restavèk et les autres enfants de la classe moyenne se creusent d’une manière beaucoup plus importante avec cette crise sanitaire.
Dans la classe moyenne haïtienne certains enfants continuent à suivre leurs cours à travers des Platforms, comme : zoom, jitsi, youtube etc. Il y a des écoles qui laissent des devoirs à la direction où les parents sont invités à les récupérer pour leurs enfants. Ainsi les parents sont chargés de les accompagner dans la réalisation de ces travaux à la maison et il y a d’autres qui demandent aux parents d’emmener les enfants à venir passer l’examen à l’école par groupe de dix. Il est certain que toutes les écoles n’ont pas ces capacités. D’une part, elles ne sont pas des écoles effectives, dotées des personnels appropriés pour le suivi d’un tel travail à distance. D’autre part, un tel suivi nécessite des parents instruits et soucieux qui sont à même d’accompagner l’enfant à la maison. II arrive que, les enfants qui sont en situation de restavèk, pour la plus part, se trouvent dans des écoles démunies et marginalisées où les familles de placement n’ont aucun souci pour leur apprentissage. Ainsi, ils restent déconnecter de l’apprentissage jusqu’au reprise normale de l’école.
Les principales activités des enfants en domesticité, à ce temps mort des activités académiques, se résument ainsi : faire la lessive, faire la course pour le compte de la famille de placement, pourvoir la maison en eau, faire de la cuisine et nettoyage de la maison ect. Il n’y a pas de temps pour un suivi scolaire. Ce qui serait, à coup sur, dans leur intérêt supérieur. Donc de retour à l’école, les enfants qui sont dans cette situation prendra, certainement, du temps pour apprivoiser certaines matières. Ce qui donnera aux autres une longueur d’avance. Alors, il est certain que le problème de l’apprentissage n’est pas l’unique pour les enfants en domesticité au temps du COVID 19.
Le choc économique que provoque ce virus aura aussi une incidence sur ces enfants. Le Fond Monétaire International (FMI) prévoit déjà que l’économie mondiale connaitra une contraction de 3%. Cette régression est plus importante que celle de la crise économique de 2008-2009 (FMI, perspectives de l’économie mondiale, avril 2020.). Ainsi, les ménages auront beaucoup plus de mal pour subvenir aux besoins de leurs progénitures. Donc, ces derniers vont, eux aussi, subir le méfait de ce choc économique. Cette situation va être très atroce pour les enfants qui sont en situation de restavèk. Ce qu’il faut savoir, même en temps normal, ces enfants-là n’arrivent pas à manger à leur faim. Avec la pandémie du COVID 19, cela devient beaucoup plus compliqué. Car il y a un nombre important de familles haïtiennes qui perdent leur emploi ou leurs activités génératrices de revenus qu’elles avaient avant la pandémie. À cela, il faut ajouter la hausse vertigineuse des prix des produits de base. On parle d’une situation sans précédent. Dans un tel contexte, certains parents ont tendance à nourrir d’abord leurs enfants, ensuite, s’il y a lieu l’enfant placé. Voilà pourquoi, en ce moment, il y a la faim qui tenaille un nombre important d’enfants qui sont en situation de restavèk. Certains, pour apaiser leur faim sont obligés de mendier.
Non seulement il y a l’éducation de ces enfants qui est compromise par le COVID 19 et cela nous touche profondément, mais il y a aussi, la santé de ces derniers qui nous préoccupe. Pendant que les autorités demandent aux citoyennes/citoyens de rester chez eux comme meilleur moyen de se protéger contre ce virus, les familles de placement, dans beaucoup des cas, ne tiennent qu’à protéger leurs progénitures et ne font aucun souci pour l’enfant placé. De ce fait, celui-ci est constamment dans la rue sans aucune mesure de protection. Le fait est que la santé physique, mentale et morale de ces enfants n’ont jamais été une priorité pour certaines de ces familles de placement.
La société, dans son entièreté, doit protéger les enfants. Au moment de cette crise sanitaire que traverse le pays nous devons conjuguer nos efforts pour préserver l’intérêt supérieur de ces enfants. Ils sont susceptibles d’être victime au temps de crise, comme celle-là. Nous pensons aux fillettes que certains adultes débauchés, connaissant leurs manques, ne cessent de les abuser sexuellement suite à des promesses trompeuses comme celles de :
✓ « Je te donne à manger après »
✓ « Je te donne de l’argent pour acheter ce dont tu as besoin ».
C’est une situation qui existait déjà avant la pandémie du COVID 19.
Maintenant, on envisage la réouverture des écoles pour ce mois d’aout 2020 pendant que le nombre de personnes infectées au COVID 19 ne cesse de grimper. Déjà, nous nous interrogeons sur les mécanismes que le Ministère de l’éducation nationale compte mettre en place pour protéger les personnels enseignants et les élèves. Après plusieurs mois en dehors de l’école, il fallait un programme spécial répondant aux exigences du moment capable de redonner goût aux élèves pour l’apprentissage. Il est probable que, la nouvelle grippe fasse partie, désormais, de notre mode de vie. Dans ce cas, l’apprentissage doit en tenir compte pour une meilleure préparation des enfants contre ce virus.

Robenson SAINT-HIALIRE
Travailleur Social/Juriste