Quand Evans Paul fait l’éloge de la simplicité de Konpè Filo

Quand Evans Paul fait l’éloge de la simplicité de Konpè Filo

ANTHONY PASCAL, (COMPÈRE FILO), LE DÉPART DU SAMBA DE LA SIMPLICITÉ

Par Evans PAUL KP
Vieille connaissance, j’ai connu Filo depuis 1974 et l’ai vu pour la dernière fois, le 17 mars 2020.

Filo est un personnage au relent d’épopée. Celui tiré d’Antigone, l’œuvre théâtrale de Sophocle, le dramaturge grec de l’antiquité, (495-406) avant Jesus-Christ.

Filo est surtout une création de feu Gérard Résil, le metteur en scène qui avait choisi le jeune Anthony Pascal, 22 ans en 1975, pour Interpréter le rôle de Compère Filo dans cette pièce Antigone, traduite en créole par le défunt poète Felix Morisseau Leroy.

Ce spectacle a eu lieu à l’Institut Français d’Haiti qui se trouvait au Bicentenaire.

D’où est né l’emblématique pseudonyme Konpè Filo, devenu Filo au fil du temps.

Aîné d’une famille de 12 enfants, Filo a grandi et vécu à cité Manigat, Martissant, dans le voisinage du Maestro Nemours Jean Baptiste, créateur du Compas direct.

Filo a initié sa carrière journalistique à radio MBC, aujourd’hui hors des ondes, avant d’être recruté par Jean Dominique à Radio Haiti inter vers la fin des années 70.

Il présentait le journal créole de 9hPM, le bulletin de nouvelles le plus écouté du moment. Filo a travaillé avec Liliane Pierre-Paul, co-présentatrice de cette émission d’information qui dénonçait les exactions de la dictature.

Filo a collaboré avec Richard Brisson assassiné à Port-de-Paix dans le cadre de l’invasion de Bernard Sansaricq en 1982.

Filo a fréquenté Gasner Raymond et Ezéchiel Abellard, le premier, journaliste au journal « Le Petit Samedi Soir,» assassiné, dont le corps fut retrouvé à Brache, Léogâne, le mardi 1er juin 1976 et le second, porté disparu vers la fin des années 70, après son émission de nuit sur Radio Métropole.

Filo côtoyait mon unique petite sœur Amenta, tuée au Stade Sylvio Cator dans des échauffourées entre des militaires des Casernes Dessalines et du Corps des Léopards, lors d’un match Haïti-Cuba, dans la soirée du samedi 11 décembre 1976.

Journaliste, Commentateur, Homme de théâtre et vedette de cinéma, Filo par sa physionomie et ses talents innés a été un acteur né, un promoteur du patrimoine culturel, ancestral et spirituel d’Haiti.

Filo a été sous l’impulsion de Daniel Supplice alors directeur du service de l’immigration et de l’émigration, sous la dictature, celui qui a introduit Manno Charlemagne, à travers le duo Manno et Marco, à Radio Haïti Inter, en 1979.

Filo a joué dans le film Anita de Rassoul Labuchin, aux côtés des acteurs de la troupe KPK (Konbit Pitit Kay) que je dirigeais, dont Rodrigue Montfleury, Gary Manigat, Wilhem Louis, Chantal Louis, Florencia Pierre, Josette Louis, Anne Rose Polynice, Paul Emile Saget, Rosenie Joachim et (Magalie Marcelin, péri dans le séisme du 12 janvier 2010). Des jeunes vedettes de la pièce DEBAFRE, le cauchemar de la dictature, que j’avais co-écrite et mise en scène et qui a connu un grand succès en Haïti et dans la diaspora, entre 1980 et 1984.

À la chaîne 11 de Jean-Paul Elie d’abord, puis à Télé-Ginen, chaîne 18 de Jean Lucien Borges depuis plusieurs années, Filo a changé l’allure de la présentation télévisuelle. Avec son costume traditionnel et son chapeau cousin zaka, Filo projetait l’image du paysan haïtien dont il était un fervent défenseur.

Filo a connu la torture et l’exil. Il fut le premier journaliste a avoir été arrêté dans le cadre de l’offensive répressive enclenchée contre la presse indépendante de l’époque par la dictature de Jean Claude Duvalier, dont l’escalade a abouti à la rafle du 28 novembre 1980, la soirée de terreur, caractérisée par des arrestations, des bastonnades, des emprisonnements et des déportations de journalistes, d’opposants politiques, d’intellectuels, de syndicalistes, de femmes et d’hommes de théâtre, engagés dans le mouvement pour la démocratisation du pays, comme Jean Dominique, Michèle Montas, Marie France Claude, Marcus Garcia, Elsie Ethéard, Liliane Pierre-Paul, Pierre Clitandre, Jean Robert Herard, Harold Isaac, Jacques Jean Baptiste, Jacques Price Jean, Constant D. Pognon, Grégoire Eugene, Yves Antoine Richard, Nicole Magloire, Lafontant Joseph…

Filo avait des problèmes de santé dont le diabète et certaines complications de la prostate, le dilemme de la plupart des hommes dans la soixantaine. Mais Filo fort heureusement n’a jamais souffert de la haine voire nourrir de sentiments de vengeance à l’égard de ses bourreaux.

Il a su transcender ses mésaventures, se dépouiller des rancœurs, maîtriser ses ressentiments, pour se mettre dans la peau de Manuel, le Héros du Gouverneur de la Rosée, engendré par Jacques Roumain, pour faire la paix dans la cité.

À son retour d’exil, Filo avec d’autres journalistes, intellectuels et artistes, à l’instar (d’Aboudja et de Tido, de regrettés mémoires), du Samba Zao, d’Eddy Francois, de Mimerose (Manzè), Theodore Jr (Lòlò) et de Daniel Beaubrun, a allumé le projecteur sur les valeurs traditionnelles que représentent les lakous Souvenance, Soukri et Badjo aux environs des Gonaïves.

Filo a été le symbole de la simplicité et de l’humilité.

Sa mort un 31 juillet, jour de naissance de Jean Dominique qui l’a propulsé devant la scène, traduit l’affinité inexorable de deux hommes, de deux origines différentes, deux générations différentes, Jean Leopold Dominique et Anthony Pascal. Ils ont engagé le même combat et adopté le même patelin, l’Artibonite. Les cendres du cadavre assassiné le 3 avril 2000 de Jean Dominique, déversées dans le Fleuve-Artibonite, l’âme d’Anthony Pascal, accrochée aux hauts lieux de l’Artibonite, à nan Souvenance, nan Soukri et nan Badjo.

C’est à l’occasion de la soirée d’hommage organisée à la mémoire de Ronald Derenoncourt (Aboudja) en sa qualité d’Empereur de Soukri Danache, décédé au cours de la période de pays lock, à Miragoâne que j’ai rencontré Filo pour la dernière fois, le 17 mars 2020 à Pacot (Port-au-Prince).

La première fois c’était à l’Institut de Formation Artistique (INFA) que dirigeait Gerard Resil en été 1974.

Depuis lors, j’ai toujours côtoyé ce Samba, symbole d’humilité, promoteur infatigable d’Haiti, notre pays profond.

Ainsi, dans la désolation de la nouvelle de ce décès inattendu, en ce vendredi 31 août 2020, dans le respect de l’œuvre remarquable réalisée en 67 ans du passage de ce grand citoyen sur cette terre, je salue le départ du camarade Anthony Pascal, (Konpè Filo), le SAMBA DE LA SIMPLICITÉ, un modèle d’engagement du
VIVRE-ENSEMBLE. Fin