« Le Ring de Katharsy », l’impressionnante dystopie de la metteuse en scène Alice Laloy

« Le Ring de Katharsy », l’impressionnante dystopie de la metteuse en scène Alice Laloy

« Le Ring de Katharsy », de et par Alice Laloy, au TNP à Villeurbanne (Rhône) lors de la générale, le 8 octobre 2024. SIMON GOSSELIN Si vous avez l’impression tenace, ces temps-ci, de vivre en pleine dystopie, ce spectacle-là ne vous démentira pas. Mais peut-être suscitera-t-il une forme de catharsis, malgré tout. In extremis. Dans tous

« Le Ring de Katharsy », de et par Alice Laloy, au TNP à Villeurbanne (Rhône) lors de la générale, le 8 octobre 2024.

Si vous avez l’impression tenace, ces temps-ci, de vivre en pleine dystopie, ce spectacle-là ne vous démentira pas. Mais peut-être suscitera-t-il une forme de catharsis, malgré tout. In extremis. Dans tous les cas, ce Ring de Katharsy, que l’on peut voir au Théâtre national de Strasbourg avant sa venue au Festival d’automne, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), puis en tournée, impressionne et fascine tout autant que Pinocchio (live), la précédente pièce de la metteuse en scène Alice Laloy, laquelle s’impose comme une créatrice majeure.

L’idée première, ici, est de transposer au théâtre la dramaturgie du jeu vidéo. Mais, à partir de là, Alice Laloy invente une fable implacable sur notre époque où la servitude volontaire s’est trouvé de nouveaux outils. Sur le plateau est dessiné un ring, que surmonte une imposante machinerie théâtrale. Sur ce ring sont peu à peu lancés des pantins-avatars, arrivés, inertes, sur des chariots, et qui s’animent sous la conduite de deux joueurs adversaires installés de part et d’autre de l’espace. Au fond, une mystérieuse diva en robe à longue traîne, comme une version futuriste d’une dea ex machina antique : Katharsy, c’est elle. Tout, ici, est recouvert d’un voile gris poussière, sauf les deux gameurs, vêtus selon les codes du chic cool d’aujourd’hui.

En quatre parties, les avatars des deux camps en présence vont s’affronter pour d’étranges batailles, d’étranges rituels, qui vont consister à se jeter sur les vêtements qui tombent des cintres pour se vêtir et se changer le plus rapidement possible, à ouvrir frénétiquement des paquets eux aussi tombés du ciel, à se gaver jusqu’à la gueule de victuailles diverses et à devoir ensuite ramasser et jeter leurs déchets. Autrement dit, consommer le plus possible, et devoir déstocker ensuite, à un rythme accéléré. Remplir-vider, remplir-vider, à l’infini, en mode machinique. Le « game », ici, consistant principalement à arracher à l’autre ce qu’il a, dans un esprit de compétition effréné.

Maîtrise formelle saisissante

De part et d’autre, les deux coachs actionnent leurs créatures à coups d’injonctions formulées à l’impératif : « Avance ! » ; « Marche ! » ; « Pivote ! » ; « Bondis ! » ; « Saisis ! » ; « Attaque ! ». Aucune autre parole ne sera prononcée dans le spectacle, seulement ces ordres lancés d’un ton sec et fébrile. C’est bien un monde de consommation – au sens le plus concret comme le plus philosophique du terme – et de manipulation qu’orchestre Alice Laloy, avec une maîtrise formelle saisissante. La metteuse en scène a d’abord fait des études de scénographie, avant de mener des recherches sur la marionnette humaine, l’invention de présences hybrides mi-humaines, mi-marionnettes.

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Fabienne Darge
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