Rik Van Looy (au centre, avec le Suisse Fabian Cancellara (à gauche) et le Belge Jurgen Van Den Broeck (à droite), le 29 juillet 2010, à Herentals (Belgique). PETER DECONINCK / AFP Au royaume de Belgique, il était « l’Empereur d’Herentals », ville flamande de la province d’Anvers où il vivait et avait été statufié de son vivant.
Au royaume de Belgique, il était « l’Empereur d’Herentals », ville flamande de la province d’Anvers où il vivait et avait été statufié de son vivant. Rik Van Looy est mort le mercredi 18 décembre, à l’âge de 90 ans, selon plusieurs médias belges. Entre 1953 et 1968, ce prince reconnu des courses d’un jour s’est construit un palmarès unique dans le cyclisme : 482 succès, où la qualité se mêle à la quantité. Double champion du monde (1960 et 1961), Van Looy est ainsi le premier à remporter les cinq grandes classiques : Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie.
Dans les années 1970, le Belge est imité par deux compatriotes : Roger De Vlaeminck et surtout Eddy Merckx. Quand ce dernier arrive sur la pointe des pieds au sein de son équipe Solo-Superia en 1965, Van Looy le Flamand moque le freluquet bruxellois, le surnomme « Jack Palance » pour une lointaine ressemblance avec l’acteur américain habitué aux rôles de méchant dans les westerns. La cohabitation dure une saison. Merckx s’en va bâtir ailleurs un autre empire, bien plus vaste (il récolte cinq Tours de France dans sa musette), et s’attaque frontalement à la « garde rouge » de son aîné.
« J’ai battu 134 morts »
Sprinteur exceptionnel et champion méticuleux, Van Looy était surtout un chef de meute. Ses équipes changent de nom (Faema, Flandria, Solo-Superia), mais le rouge reste de mise pour le maillot et le dévouement de ses équipiers est total. Ceux qui osaient se mettre sur le chemin de « l’Empereur » étaient rabroués, intimidés et ramenés à la raison par ses fidèles, afin de lui permettre de faire parler sa pointe de vitesse à l’arrivée. « Même [Jacques] Anquetil avait peur de nous », confiait à L’Equipe Ward Sels, l’un des lieutenants de Van Looy, en 2021.
Et gare à celui qui roule le monarque dans la farine. En 1963, Benoni Beheyt joue les Brutus et prive Rik Van Looy d’un troisième titre de champion du monde à Renaix, en Flandre-Orientale. Avant la course, le second avait promis 50 000 francs belges au premier pour s’assurer ses services. Entre coéquipiers d’un jour en équipe nationale, on n’est jamais trop prudent. Mais Beheyt manque à sa parole et saute Van Looy sur la ligne. La vengeance du roi se mangera chaude et froide : la « garde rouge » ne laissera plus un centimètre de liberté au « traître » qui rangera son vélo à seulement 26 ans, dépité et résigné.
Rik Van Looy ne se perdait pas en commentaires. Mais à l’arrivée du Paris-Roubaix en 1965, le Flamand a des comptes à régler. On l’a dit sur le déclin. Vexé, le sprinteur remporte l’« enfer du Nord » pour la troisième fois et y met la manière. Il attaque seul à 10 kilomètres de l’arrivée avant de s’élancer, toujours seul, sur le vélodrome de Roubaix. « Paraît-il, je ne devais plus être le grand Van Looy. Mais, à 31 ans, un homme peut-il être un homme fini ? Si je le suis, j’ai donc battu 134 morts », lâche-t-il.
« L’Empereur » et « le Cannibale »
La suite est moins flamboyante. Van Looy ajoute bien Paris-Tours (1967) et la Flèche wallonne (1968) à sa collection de classiques, mais Merckx commence à mettre en déroute sa « garde rouge » et lui laisse des miettes. « L’Empereur d’Herentals » vit mal ce déclassement relatif. Lui n’a jamais vraiment été un homme de juillet. Sur le Tour de France, il a porté le maillot jaune une journée et remporté tout de même sept étapes, mais sans avoir le même coup de pédale qu’au printemps. La faute à son employeur italien, qui lui imposait de disputer le Giro juste avant.
Homme d’affaires et propriétaire d’un manège équestre, Van Looy a connu une seconde vie confortable, à l’image d’une Flandre devenue prospère et fière de le montrer. En 2021, il perd l’amour de sa vie, « Nini », beauté blonde surnommée « la Marilyn flamande ». A l’époque, l’octogénaire garde encore une silhouette de jeune homme. Deux ans plus tôt, il dévoilait son secret minceur à L’Equipe : « Je roule encore le long du canal Albert jusqu’à Anvers. Cette semaine, on y est allés quatre fois. » Après la mort de son épouse, il confiera avoir perdu l’envie de rouler, préférant admirer, dans le confort de son salon, les exploits de Wout van Aert, originaire d’Herentals et star actuelle de la formation Jumbo-Visma.
Né le 20 décembre 1933 à Grobbendonk, à quelques kilomètres, Van Looy sera resté fidèle à Herentals toute sa vie d’adulte. Avec les années, Eddy Merckx avait gagné le droit d’être l’un de ses invités. « L’Empereur » ne tenait plus rigueur au « Cannibale » d’avoir quelque peu éclipsé sa gloire. Quand il prenait la peine de se retourner sur sa carrière, il voyait surtout le chemin parcouru et les courses gagnées par centaines, lui qui était arrivé au cyclisme par hasard. « Moi, à 12 ans, je ne roulais pas encore en course. Je livrais des journaux à vélo dans les rues. »
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