Calendrier, essais cliniques, financements : où en est-on de la course au vaccin contre le Covid-19 ?

Calendrier, essais cliniques, financements : où en est-on de la course au vaccin contre le Covid-19 ?

Photographie diffusée par l’université d’Oxford montrant des échantillons de sang dans le cadre d’essais de vaccins contre le Covid-19, menés à l’institut Jenner, à Oxford, en Angleterre, le 25 juin 2020

De nombreux chercheurs et laboratoires à travers le monde se livrent, depuis plusieurs mois, à une course contre la montre pour trouver un vaccin sûr et efficace contre le Covid-19. Alors que l’épidémie a déjà emporté près de 650 000 vies, l’immunisation de la population contre le SARS-CoV-2 semble être l’une des seules portes de sortie à la crise.

Si les résultats de certains essais cliniques sont encourageants, pour l’heure, aucun vaccin n’a toutefois fini son développement.

A quelle date peut-on espérer disposer d’un vaccin ?
Dix-huit mois : c’est le temps évalué et espéré par les chercheurs pour la mise au point d’un vaccin. Il faut en général une dizaine d’années entre le moment où l’on commence à travailler sur un nouveau vaccin et le moment où celui-ci est disponible en population générale. Mais, l’urgence sanitaire de la situation actuelle a fait que ce délai a été très largement raccourci.

Le SARS-CoV-2 a été identifié très vite, de même que la portion du coronavirus qui pouvait potentiellement entraîner une réponse protectrice – la protéine Spike, qui lui permet d’entrer dans les cellules.

Reste une étape incontournable et incompressible : celle des essais cliniques, résumait ainsi l’infectiologue Odile Launay, directrice du centre d’investigation clinique (CIC) à l’hôpital Cochin à Paris.

« On ne peut pas se permettre de lancer une vaccination en population générale à grande échelle, si on n’a pas des données suffisantes sur l’efficacité, mais surtout sur la sécurité du vaccin. »

« Au mieux », selon elle, nous pourrons disposer d’un vaccin en septembre 2021.

Interrogé par le Congrès des Etats-Unis, le 23 juin, l’immunologiste Anthony Fauci, pilier de la task force américaine mise en place pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, avait fait part de son « optimiste prudent » quant au développement d’un vaccin dès fin 2020. Le 25 juillet, il avait néanmoins précisé au Washington Post que même si un « candidat-vaccin » passait avec succès les essais cliniques d’ici la fin de l’année, il faudrait plusieurs mois avant que la vaccination puisse être généralisée, soit pas avant le printemps 2021.

Quelles sont les technologies privilégiées pour développer le vaccin ?
La quasi-totalité des quelque deux cents projets recensés aujourd’hui ont pris pour cible la protéine Spike. L’idée est de présenter cet antigène au système immunitaire pour l’obliger à contre-attaquer grâce à différents mécanismes de défense, dont les anticorps. Une fois mémorisée, la réponse à une attaque fictive aide l’organisme à se protéger lors de sa première « vraie » rencontre avec le virus.

Plusieurs approches technologiques s’affrontent pour y parvenir :

Les « anciens », ne jurent que par les vaccins basés sur une version atténuée ou inactivée du virus original.
Les « modernes » défendent des vaccins basés sur un « vecteur » – le virus de la rougeole ou un adénovirus génétiquement modifié pour exprimer l’antigène souhaité.
Les « futuristes » parient sur l’ADN ou l’ARN (acide ribonucléique) pour transmettre à nos cellules les instructions de fabrication de cet antigène. L’ARN, qui est le miroir de nos gènes, fait office de mode d’emploi pour les ribosomes, ces petites usines à protéines qui se trouvent dans nos cellules. S’inspirant de cet ARN naturel, les scientifiques sont aujourd’hui capables de synthétiser de l’ARN artificiel qui comporte des instructions supplémentaires pour nos cellules. L’objectif est de leur faire fabriquer un fragment bien précis d’un virus – qu’on appelle antigène – capable de déclencher une réaction immunitaire, avec la formation d’anticorps ciblés.
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Quels sont les laboratoires et les pays engagés ?
Au total, près de deux cents candidats-vaccins sont développés, dont vingt-trois étaient en phase clinique – c’est-à-dire testés chez l’être humain – au 26 juillet.

Face à certaines « plates-formes » portées par des équipes encore peu présentes sur le marché des vaccins, à l’instar de la biotech américaine Moderna, on retrouve des grands groupes pharmaceutiques, comme le géant américain Merck ou encore le français Sanofi Pasteur.

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La recherche se double, en outre, d’une bataille pour les financements. Selon le think tank Policy Cures Research, plus de 4,5 milliards de dollars (3,86 milliards d’euros) ont déjà été alloués à l’élaboration d’un vaccin. Et trois grands blocs se dessinent : les Etats-Unis, l’Europe et la Chine.

Avec cinq projets en phase 2 de test – des essais cliniques menés sur un échantillon de 100 à 1 000 personnes –, au moins un en phase 3 – sur un grand nombre de volontaires, entre 10 000 et 30 000, pour confirmer l’efficacité du candidat-vaccin et rechercher les effets secondaires –, et plusieurs publications scientifiques, Pékin tient la corde dans la course au développement du vaccin. Aucune enveloppe globale n’a été officiellement annoncée, mais, dans la « guerre du peuple » contre le Covid-19, la mise au point d’un vaccin y est une « priorité absolue ».

Qui aura accès en priorité au vaccin ?
« Un vaccin contre le Covid-19 doit être vu comme un bien public mondial, un vaccin pour les peuples », a plaidé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Nombre de dirigeants mondiaux ont lancé un appel en ce sens, dont les deux principales voix étaient le président chinois Xi Jimping et le chef de l’Etat français Emmanuel Macron.

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Pourtant, alors que les nécessités d’accès à un vaccin sont mondiales, les pays tentent de garantir leur approvisionnement et les précommandes se multiplient. Par exemple, Sanofi a fait savoir qu’il était proche d’un accord avec l’Union européenne (UE) pour lui fournir 300 millions de doses, tout en préparant des collaborations similaires avec d’autres pays, dont les Etats-Unis.

AstraZeneca, issu de la fusion du suédois Astra et du britannique Zeneca, a passé un contrat similaire avec l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas pour assurer l’approvisionnement de l’UE. Un accord a également été conclu avec les Etats-Unis et le groupe était en discussion avec le Japon, la Russie, le Brésil et la Chine.

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Ces accords permettent aux entreprises pharmaceutiques, qui investissent notamment pour préparer leur outil de production sans savoir si le vaccin se matérialisera, de limiter le risque financier que l’opération comporte.

Portés par l’administration Trump, les Etats-Unis ont choisi une stratégie plus agressive : le gouvernement fédéral a ainsi lancé l’opération Warp Speed (au-delà de la vitesse de la lumière) pour accélérer le développement d’un vaccin qui serait alloué en priorité à ses compatriotes, en finançant des essais cliniques et la construction de sites de fabrication.

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Le 26 juillet, la Maison Blanche a doublé son investissement financier, à près d’un milliard de dollars au total, pour soutenir le développement d’un potentiel vaccin mis au point par la société Moderna. Quelques jours plus tôt, l’alliance germano-américaine Biontech/Pfizer avait, de son côté, fait savoir que Washington lui verserait 1,95 milliard de dollars pour s’assurer 100 millions de doses de son éventuel vaccin.

Quels sont les projets les plus avancés ?
La biotech américaine Moderna a lancé, lundi 27 juillet, la phase 3 de son candidat-vaccin, la dernière des essais cliniques avant l’homologation. Son efficacité va être testée sur 30 000 personnes aux Etats-Unis : la moitié recevra une dose de 100 microgrammes, tandis qu’un placebo sera administré aux autres.

De son côté, le laboratoire chinois Sinovac avait annoncé le 6 juillet que la dernière phase de développement de son vaccin débuterait « ce mois-ci », en collaboration avec le brésilien Butantan. Elle « inclura environ 9 000 professionnels de santé » dans ce pays touché de plein fouet par l’épidémie – en effet, la phase 3 des essais clinques doit se dérouler dans une zone où le virus est encore fortement actif.

C’est donc également au Brésil qu’AstraZeneca a débuté, fin juin, les tests de son candidat-vaccin, développé en partenariat avec l’université d’Oxford, sur 5 000 volontaires à Rio de Janeiro, São Paulo et un site « dans le nord-est du pays ».

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Pfizer, associé à la biotech allemande BioNTech, prévoyait lui aussi de démarrer une phase 3 avant la fin juillet ; suivi de Sanofi, ainsi que Johnson & Johnson en septembre ; puis de la biotech américaine Novavax à l’automne.

Par ailleurs, alors que le monde attend les résultats de ces grands essais cliniques, les experts œuvrent d’ores et déjà à préparer l’opinion publique à l’arrivée d’un vaccin sur le marché.

Les données recueillies suggèrent que les candidats-vaccins peuvent être « réactogènes », rapporte ainsi le site d’informations médicales et scientifiques StatNews, le 27 juillet. En d’autres termes, ces derniers provoquent de légers effets indésirables, comme des maux de tête, des douleurs aux bras, de la fatigue, des frissons ou encore de la fièvre.

« Nous avons constaté que si nous laissons les gens savoir à quoi s’attendre, ils sont moins inquiets en cas d’effets secondaires », justifie Kathleen Neuzil, directrice du Centre pour le développement de vaccins à la faculté de médecine de l’université du Maryland, citée par StatNews.

Quelle sera la stratégie vaccinale en France ?
S’il n’y a pas encore de vaccin contre le Covid-19, la France s’attelle d’ores et déjà à définir une stratégie vaccinale. Dans ce cadre, un premier rapport élaboré par une quinzaine de membres du conseil scientifique, du comité analyse, recherche et expertise (CARE) et du comité vaccin Covid-19, a été mis en ligne sur le site du ministère de la santé, le 24 juillet.

Ce document définit notamment les cibles prioritaires. On y trouve en tout premier lieu les personnes exposées de par leur métier, celles à risque du fait de leur âge ou d’une maladie chronique ainsi que les individus en grande précarité.

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« Le nombre de vaccins qui sera finalement commandé est encore inconnu, mais on s’attend à avoir plusieurs dizaines de millions de doses de vaccins (potentiellement correspondant à 2-5 produits différents) disponibles entre le dernier trimestre de l’année 2020 et le premier trimestre de 2021, qui pourraient être déployées s’il survient une seconde vague de Covid-19 », estiment les auteurs du rapport.

Et, malgré l’urgence, ils appellent à la prudence : « Il est impératif de se donner le temps nécessaire à une évaluation rigoureuse tant de l’efficacité que de la sécurité des candidats vaccins avant leur utilisation à grande échelle. » Le conseil rejette par ailleurs l’idée d’« une vaccination obligatoire », préconisant une vaccination « organisée ».

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