Car Wash Party ou l’échapatoire des jeunes en manque de plaisir sain

Car Wash Party ou l’échapatoire des jeunes en manque de plaisir sain

Voilà maintenant quelques années depuis que le “Car Wash Party” s’est installé dans le quotidien haïtien. Regroupant un nombre élevé de jeunes, cette activité dénommée Car Wash Party est surtout organisée lors des vacances d’été, au moment où la chaleur est au rendez-vous. Toutefois, les mauvaises pratiques comme la consommation abusive d’alcool et de la drogue, les danses obscènes entre autres, ne rendent pas populaire le Car Wash Party auprès des moins jeunes et des vieux. Néanmoins, cette “bamboche” semble avoir gagné le cœur des jeunes.

REPORTAGE

Nous sommes un dimanche. Il est 4 heures 30 à Delmas 18, dans le quartier dénommé Candio, une foule de jeunes est réunie. Musique à fond, marchands vendant des boissons de toutes sortes, discussions entre amis … Il est clair que le décor est déjà planté pour le Car Wash Party.

Cette activité, qui a gagné le cœur de plus d’un, est lancé sous les cris d’une foule en délire suivie de bagarre pour s’asperger mutuellement d’eau.

Une activité propice à l’obscénité

Les jeunes semblent faire fi des objections émises par plus d’un sur l’organisation du Car Wash Party. Pour Anne, une participante, le Car Wash Party est l’activité du moment, facile à organiser et qui ne demande pas beaucoup de dépense. “De plus, on peut s’y défouler”, confie-t-elle. Cette dernière est claire quant au fait que l’activité sert d’échappatoire à plusieurs jeunes qui commençaient à se fatiguer du confinement, de la chaleur atroce et de l’inactivité.

Pour d’autres, le Car Wash Party est certainement mauvais vu les nombreuses pratiques douteuses auxquelles bon nombre de jeunes s’adonnent comme l’abus d’alcool, – des bières en quantité même pour des adolescents-, des drogues pour faire passer le “vibe” et oublier son stress, du sexe et des comportements douteux envers les filles présentes.

Shine, l’une des filles habitant le quartier Candio, terrain de notre reportage, se plaint des comportements des filles qui encouragent également les garçons à mal les traiter. Toutefois, cette dernière semble ne pas les tenir pour responsables. Elle justifie ses dires soutenant que le manque d’activités ludiques pour les jeunes du pays est un des motifs expliquant la prolifération des pratiques malsaines.

Si les organisateurs de ces activités partagent en partie cet avis, ils expliquent aussi que le Car Wash Party a certainement du bon à offrir. Plusieurs d’entre eux ont soutenu qu’ils existent des avantages offertes lors de l’organisation du Car Wash Party. Compte tenu de son ampleur, du nombre élevé de participants, rémunérer les DJs peu connu lors de l’événement, sélectionner et autoriser des marchands.es pour le jour permettent à ces derniers d’augmenter leurs ventes lors du déroulement du Car Wash Party. “Le défoulement n’est pas le seul aspect positif, des marchands.es vendent en toute tranquillité puisque les jeunes consomment”, a dit John, un des membres organisateurs du Car Wash Party à Candio.

Cependant, cette année, compte tenu de la crise sanitaire qui a paralysé les activités et les mesures drastiques prises par les autorités pour éviter la propagation du virus chez les citoyens, certains commissaires du gouvernement ont tenté de stopper l’organisation du Car Wash Party, mais en vain. L’interdiction des autorités municipales au cours des mois passés n’a obtenu que très peu d’attention de la part des organisateurs. Ces derniers ont mené leurs activités sans craindre les sanctions qui d’ailleurs ne sont jamais venues.

Qu’en pense un expert ?

Les avis sont partagés en ce quit a trait au problème d’absence de politique culturelle mise en place par les autorités pour inciter les jeunes à s’amuser sainement. En effet, que ce soit les organisateurs, les participants.es, ou d’autres jeunes, tous s’accordent sur le fait que le manque d’encadrement des jeunes et la non disponibilité de divertissement pouvant les aider à canaliser leurs énergies ont conduit aux “dérives” actuelles comme le Car Wash Party.

“La jeunesse se désintéresse de plus en plus des jeux sociaux, s’adonnant à la facilité, aussi aux divertissements malsains, peut-être par choix pour certains mais également à cause du manque flagrant de politique culturelle pour d’autres”, pense Shine.

Pour le sociologue Guillaume Eugène “l’effritement des valeurs ainsi que la détérioration des liens familiaux sont les principales sources de la dérive existant au sein de la société haïtienne”. La perte des valeurs ne permet pas la cohésion sociale et la solidarité. “Avec l’exposition des obscénités dans les vidéos diffusées à la télévision, et qui sont aussi disponibles sur les réseaux sociaux, il ne faut pas s’étonner de la dégradation de la situation socio-économique du pays. La dérive des jeunes n’en est que le résultat”, poursuit M. Eugène, directeur de projet de l’organisation Lumos Haïti.

Ce dernier croit qu’il faut renouer avec des valeurs d’antan pour porter un coup dur aux activités malsaines dans le pays. Aussi, pense-t-il que la famille ainsi que les autorités concernées devraient jouer leur partition pour mener les enfants vers un chemin plus sécurisant.

Face aux dangers auxquels les jeunes sont exposés, plus précisément les filles qui abusent de l’alcool et qui sont traitées comme des choses, l’État ne devrait pas trainer pour freiner ces actions. “Cela peut conduire à des activités sexuelles non consenties, autrement dit le viol. Dans certains cas, cela peut aboutir à des grossesses non désirées”. Tenant compte de ces problèmes qui peuvent en découler, M. Eugene a invité les autorités à tout mettre en œuvre pour résoudre les dérives comme le Car Wash Party. “ Pas uniquement à travers des sanctions pour les organisateurs, mais il faut attaquer le problème d’absence de divertissement des jeunes”.

Car Wash Party ou un manque crucial de divertissement dans le quotidien des jeunes en Haïti ? D’aucuns semblent le croire au vu de la situation actuelle et des décisions étatiques qui n’abordent pas toujours de front les problèmes auxquels bon nombre de jeunes font face dans le pays.