La Corée du Sud a connu, dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 décembre, une crise politique inédite depuis plus de quarante ans. Pendant six heures, le pays a vécu au rythme de la loi martiale : dans un discours télévisé non annoncé tard dans la soirée de mardi, le président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, a annoncé sa
La Corée du Sud a connu, dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 décembre, une crise politique inédite depuis plus de quarante ans. Pendant six heures, le pays a vécu au rythme de la loi martiale : dans un discours télévisé non annoncé tard dans la soirée de mardi, le président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, a annoncé sa promulgation affirmant que cette mesure était nécessaire pour protéger le pays.
Dans la foulée, l’armée a pris position autour du Kuk Hoe, le Parlement monocaméral de la Corée du Sud, dans lequel étaient retranchés près de 200 parlementaires. Mais ces derniers ont voté le blocage de la loi martiale, contraignant le président à renoncer à sa décision. Retour sur le déroulé des événements.
Loi martiale contre les « forces communistes nord-coréennes »
A 22 h 25 (à Séoul, 14 h 25 à Paris), mardi, le président Yoon Suk Yeol est apparu à la télévision. « Je déclare la loi martiale pour protéger la République de Corée libre de la menace des forces communistes nord-coréennes, pour éradiquer les abjectes forces antiétatiques pro-nord-coréennes qui mettent à sac la liberté et le bonheur de notre peuple, et pour protéger l’ordre constitutionnel libre », a-t-il déclaré, faisant usage de l’article 77 de la Constitution.
« Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement, à des fins de destitution, d’enquêtes spéciales et pour protéger son leader de poursuites judiciaires », a poursuivi le président au pouvoir depuis son élection en mars 2022.
Il a entre autres pointé du doigt une « dictature législative » et accusé les élus de l’opposition de bloquer « tous les budgets essentiels aux fonctions premières de la nation ». Mais il n’a pas cité de menace spécifique de la part de la Corée du Nord, dotée de l’arme nucléaire, se concentrant plutôt sur ses adversaires politiques sur le plan intérieur.
L’allocution surprise du président est intervenue alors que le Parti du pouvoir populaire (PPP) de M. Yoon bataille avec le principal parti d’opposition, le Parti démocrate, majoritaire au Parlement, sur le projet de budget de l’année prochaine. Les députés de l’opposition ont approuvé la semaine dernière, un programme budgétaire considérablement réduit. Le président a aussi évoqué une motion présentée cette semaine par le Parti démocrate visant à destituer certains des principaux procureurs du pays.
La loi martiale avait été décrétée pour la dernière fois le 17 mai 1980, lors du coup d’Etat militaire du général Chun Doo-hwan. Le lendemain, des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Kwangju, haut lieu traditionnel de la contestation, pour protester contre le coup d’Etat. M. Chun voulait remplir le vide du pouvoir après l’assassinat du dictateur Park Chung-hee. Les manifestations avaient été réprimées dans un bain de sang. La loi martiale avait été levée en janvier 1981.
Elle n’avait plus été instaurée en Corée du Sud depuis le processus de démocratisation enclenché à la fin des années 1980, y compris à des périodes de vives tensions, comme en 2016, lorsque des millions de manifestants ont obtenu la destitution de la présidente Park Geun-hye, sur fonds de scandale de corruption.
Activités politiques interdites, Parlement sous scellés
Après la décision du président, toutes les activités politiques ont été interdites et les médias placés sous la surveillance du gouvernement, comme l’a déclaré Park An-su, le chef de l’armée, dans un communiqué cité par l’agence coréenne Yonhap. Selon ce communiqué, « toute personne violant la loi martiale peut être arrêtée sans mandat ».
Des hélicoptères ont atterri sur le toit du Parlement, selon des images en direct diffusées par les chaînes de télévision, des militaires sont brièvement entrés dans l’Assemblée avant d’en ressortir et de quitter les lieux, tandis que des centaines de manifestants affluaient vers le Parlement.
Le Parlement bloque la loi martiale, l’armée refuse
Cette décision a suscité l’opposition immédiate des responsables politiques, notamment celle de Han Dong-hoon, chef du PPP dont est issu le président qui a qualifié la décision de « mauvaise » et a promis de « mettre un terme à cela avec le peuple ». Lee Jae-myung, le chef du Parti démocratique, qui a perdu de justesse l’élection présidentielle contre M. Yoon en 2022, a qualifié l’annonce du chef de l’Etat d’« illégale et inconstitutionnelle ».
Dans la soirée (mercredi à Séoul), l’Assemblée nationale a voté pour demander au président Yoon Suk Yeol de lever la loi martiale. Selon la Constitution, celle-ci doit être levée lorsqu’une majorité parlementaire le demande : sur les 300 membres du parlement, 190 étaient présents et tous ont voté en faveur d’une motion demandant la levée de la loi martiale : 18 élus du PPP – le parti du président – et 172 députés du Parti démocrate. Woo Won-shik, président de l’Assemblée nationale, a déclaré que la proclamation de la loi martiale du président Yoon était devenue « nulle et non avenue ».
« Yoon a commis un acte de forfaiture en déclarant la loi martiale », a déclaré Shin Chang-sik, un député de l’opposition à l’Agence France-Presse. Selon le parlementaire, du fait du blocage de l’entrée du Parlement, certains de ses collègues ont été contraints d’escalader la clôture pour voter la résolution demandant la levée immédiate de la loi martiale.
Mercredi, peu après 4 h 40 du matin (20 h 40 à Paris) le président Yoon s’est finalement exprimé à la télévision, déclarant : « Il y a eu une demande de l’Assemblée nationale pour lever l’état d’urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale. Nous allons accéder à la requête de l’Assemblée nationale. » Son gouvernement a finalement approuvé la levée de la loi martiale, mettant fin à plusieurs heures de confusion.
Des appels à la démission du président Yoon
L’épisode risque de ne pas en rester là. Le principal parti d’opposition a demandé, mercredi, le départ du président sud-coréen, dont la cote de popularité était déjà extrêmement faible. « Même si la loi martiale est levée, il est impossible d’éviter les accusations d’insurrection » à son encontre, a déclaré dans un communiqué, Park Chan-dae, un responsable du Parti démocrate. Si M. Yoon « ne démissionne pas immédiatement, le Parti démocrate engagera instantanément une procédure en destitution, en accord avec la volonté populaire », a ensuite fait savoir la formation dans un communiqué.
« Le président doit expliquer cette situation tragique tout de suite et en détail », a déclaré à la télévision, de son côté, le chef du PPP au pouvoir, Han Dong-hoon, ajoutant que « tous les responsables devront rendre des comptes ».
La plus importante intersyndicale de Corée du Sud a appelé, elle, à une « grève générale illimitée » jusqu’à la démission du président Yoon Suk Yeol. La Confédération des syndicats coréenne, qui compte quelque 1,2 million de membres, a qualifié la tentative de M. Yoon de « mesure irrationnelle et antidémocratique », estimant qu’il avait « signé sa propre fin au pouvoir ».
Une situation scrutée à l’international, notamment à Washington
Les informations en provenance de Corée ont été scrutées par les diplomaties du monde entier. La Maison Blanche a exprimé sa satisfaction quant au dénouement. « Nous sommes soulagés que le président Yoon soit revenu sur sa déclaration de loi martiale inquiétante et qu’il ait respecté le vote de l’Assemblée nationale pour y mettre fin », a déclaré un porte-parole du Conseil de sécurité nationale dans un communiqué. « Nous continuons d’attendre que les désaccords politiques soient résolus pacifiquement et dans le respect de l’État de droit », a aussi déclaré le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.
Séoul est un allié clé des Etats-Unis en Asie, particulièrement dans un contexte de rivalités accrues avec la Chine : quelque 28 500 soldats américains sont stationnés en Corée du Sud pour la protéger du Nord. Washington a affirmé ne pas être au courant des intentions de M. Yoon.
Le Japon a dit surveiller la situation politique à Séoul avec « une préoccupation exceptionnelle et sérieuse », selon le premier ministre, Shigeru Ishiba.
Les Nations unies, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont aussi fait part de leur inquiétude, tandis que la Chine a appelé ses ressortissants en Corée du Sud à la prudence. Moscou, qui a resserré ses liens avec la Corée du Nord pour sa guerre en Ukraine, a jugé la situation « alarmante ».
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