De la constitutionnalité et de la légitimité du référendum constituant

De la constitutionnalité et de la légitimité du référendum constituant

Dans la situation pourtant inextricable où se trouve Haïti, d’aucune infèrent que le Président de la République, Son Excellence Jovenel Moïse, ne saurait organiser un référendum constituant, selon la feuille de route donnée au nouveau Conseil électoral provisoire (CEP) désigné par l’arrêté du 18 septembre dernier. Les opposants, qui méritent parfaitement leur nom d’irritants, mettent en avant l’article 284-3 de la Constitution de 1987 selon lequel « Toute consultation populaire, tendant à modifier la Constitution par voie de référendum, est formellement interdite ».

            L’argumentation des opposants n’est pas convaincante sur le plan juridique, politique et constitutionnel pour au moins trois raisons.

            1. Tout d’abord, la Constitution de 1987, dans son titre XIII, s’intéresse uniquement aux « amendements » à la Constitution. Comme l’indique clairement la langue française, un « amendement » est un ajout ou une suppression, c’est dans tous les cas une modification ponctuelle du texte existant. Nous en avons l’exemple aux États-Unis d’Amérique : on sait que 27 amendements ont été adoptés et ont complété le document initial de 1787. La République d’Haïti a procédé de la sorte depuis 1987 : ainsi l’amendement de 2011 a modifié quelques articles de la Constitution.

            Est-ce de cela dont il s’agit aujourd’hui ? Absolument pas ! Pour sortir Haïti de l’impasse, il est proposé de réviser entièrement la Constitution de 1987 et, plus exactement encore, de la remplacer. Ce n’est pas un amendement partiel, limité ou cosmétique qui est envisagé, mais une révision totale de la Loi mère, sur le modèle suisse, le plus démocratique au monde : la Constitution helvétique de 1999, aux articles 138 et 139, distingue soigneusement la révision totale et la révision partielle de la Constitution. On pourrait aussi considérer que la Constitution française de 1958 est en réalité une révision totale de la Constitution de 1946, ratifiée par le peuple souverain lors du référendum du 28 septembre 1958.

            La proposition faite par le Président de la République haïtienne ne s’inscrit pas dans le titre XIII de la Constitution de 1987 puisqu’il s’agit de remplacer cette Constitution défaillante par une Constitution entièrement nouvelle.

            2. Les opposants se drapent dans les habits de la Constitution mais ils désirent en réalité empêcher toute réforme constitutionnelle. Aux termes du titre XIII de la Constitution, les amendements doivent être approuvés par les deux Chambres du Parlement et l’article 284 précise même que l’Assemblée nationale ne peut valablement délibérer que si deux tiers des députés et des sénateurs sont présents. Or tout un chacun sait que depuis 2019 la Chambre des députés n’a pas été renouvelée et que le Sénat est incomplet.

            Dans ces conditions, réclamer l’application du titre XIII de la Constitution signifie tout simplement qu’on interdit toute révision constitutionnelle, même partielle, sous forme d’amendements. Les opposants dévoilent leurs ambitions : maintenir le statu quo et donc Haïti dans l’ornière. Ils ne veulent aucune amélioration pour le pays, amélioration qui passe par une efficacité de l’État compromise actuellement par un Parlement dysfonctionnel, par des institutions sans forces et par une Constitution inadaptée.

            3. Dans une démocratie, il n’y a de souverain que le peuple ou la nation. Toutes les Constitutions modernes et démocratiques prennent le soin de proclamer que le peuple est la seule fontaine du pouvoir légitime. L’article 58 de la Constitution de 1987 ne fait pas exception à la règle : « La souveraineté nationale réside dans l’universalité des citoyens ». Un tel principe est sans surprise puisqu’Haïti est une République, comme la France, l’Allemagne, les États-Unis, etc. Classiquement, le peuple souverain exprime sa volonté de deux manières : soit en désignant des représentants, soit en se prononçant directement à l’occasion d’un référendum. L’article 3 de la Constitution française de 1958 le souligne : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

            S’agissant d’une révision totale de la Constitution, qui ne se contente pas d’amendements limités, voudrait-on mettre le peuple souverain sur la touche ? Dès lors que la Constitution de 1987 ne prévoit pas l’hypothèse d’une Constitution entièrement nouvelle, croit-on démocratique d’écarter le seul organe légitime, à savoir les citoyens qui composent le peuple et la nation ? En son temps, Charles de Gaulle, avait également été critiqué pour sa confiance absolue dans le référendum comme instrument démocratique par excellence : c’était en 1962, à un moment où la France faisait face à une obstruction du Parlement pour l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Et voilà ce que disait ce grand homme : « Par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision ? Je réponds : par la plus démocratique, la voix de référendum. C’est aussi la plus justifiée, car la souveraineté nationale appartient au peuple et elle lui appartient évidemment, d’abord, dans le domaine constituant ». Si le peuple doit décider en dernier ressort, c’est bien pour fixer les termes de son pacte social et politique, c’est-à-dire sa Constitution. Il serait hypocrite d’affirmer que la Constitution est l’œuvre du peuple et lui refuser le pouvoir de trancher en la matière : la Loi mère doit nécessairement être soumise au vœu des électeurs.

            Ainsi, pour ceux qui désirent sincèrement améliorer le sort d’Haïti, quelles que soient leurs préférences politiques, tel l’infortuné Me Dorval, il convient de dire avec force que la révision constitutionnelle envisagée réclame évidemment le concours du peuple souverain. Comme le soutenait Abraham Lincoln il y a un siècle et demi : « La démocratie, c’est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Il appartient à la République haïtienne de mettre en œuvre un choix démocratique « par le peuple ». Le référendum constituant s’impose !