Jusqu’à ces dernières semaines, la science s’accordait à considérer que la chlordécone, du fait de sa structure chimique très particulière, n’était que très peu biodégradable dans l’environnement. Les écologues et agronomes prédisaient donc des durées de contamination de l’ordre de plusieurs dizaines, voire centaines, d’années selon les types de sol. Mais des chercheurs du Commissariat
Jusqu’à ces dernières semaines, la science s’accordait à considérer que la chlordécone, du fait de sa structure chimique très particulière, n’était que très peu biodégradable dans l’environnement. Les écologues et agronomes prédisaient donc des durées de contamination de l’ordre de plusieurs dizaines, voire centaines, d’années selon les types de sol. Mais des chercheurs du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), à l’issue d’une longue étude, jettent un pavé dans la mare : dans nos sols antillais, sous l’action de bactéries diverses, la chlordécone se dégrade, assez rapidement. Cependant, les produits de cette dégradation, dont 17 ont été identifiés, pourraient s’avérer très toxiques.
Les résultats de l’étude sont indéniables. Les chercheurs du CEA-Jacob, au Genoscope, travaillant depuis dix ans sur la biodégradation de la chlordécone, ont identifié en laboratoire une vingtaine de produits de transformation de la chlordécone obtenus en présence de divers micro-organismes. Ils ont réussi à synthétiser chimiquement ces produits, puis les ont utilisés comme standards afin de les rechercher dans l’environnement martiniquais.
De nouveaux polluants ?
« Les résultats montrent la présence systématique de produits de transformation de la chlordécone dans tous les échantillons de sols contaminés par ce pesticide, mais aussi dans les eaux de rivière, mangrove et sédiments de mangrove analysés », indique le CEA dans son communiqué (*). 17 produits de transformation ont été identifiés, dont plusieurs présentent des concentrations comparables à celles mesurées pour la chlordécone. Des expériences en laboratoire ont confirmé la capacité de chaque type de sols antillais à provoquer la dégradation de la chlordécone en quelques semaines seulement.
Mais il est trop tôt pour se réjouir. On est peut-être tombé de Charybde en Scylla. « La chlordécone se dégrade bel et bien dans les sols antillais et conduit à la libération progressive dans l’environnement de quantités importantes de produits de transformation, indique le CEA. Ces résultats modifient profondément la vision de la pollution et sa prise en charge, avec l’émergence des produits de dégradation comme nouveaux polluants potentiels. » Il va, à l’évidence, falloir conduire de nouvelles études.
(1) http://www.cea.fr/drf/Pages/Actualites/En-direct-des-labos/2019/Pollution-chlordecone-antilles.aspx
De nouvelles questions
Comme souvent dans la recherche, une découverte amène d’autres questions. Celles qui se posent face à la dégradation de la chlordécone sont essentielles, notamment en termes de santé publique et d’exposition potentielle de la population. Ces produits de dégradation sont-ils toxiques ? Dans l’affirmative, peuvent-ils, comme la chlordécone, se transférer dans notre alimentation ? Si oui, dans quelles conditions ? Ce qui est vrai pour la chlordécone — par exemple qu’elle ne contamine pas, ou très peu, les fruits — ne l’est pas forcément pour ses produits de dégradation. Bref, les chercheurs ont du pain sur la planche, pour peu qu’ils décrochent des financements. Leur première requête en ce sens a été refusée par l’Agence nationale de la recherche. Ils viennent de renouveler une demande de financement national.