Samedi 28 décembre 2024. Il est trois heures de l’après-midi nous nous rendons à Fontamara, l’un des quartiers de l’entrée sud de la capitale qui est sous l’emprise des gangs armés. Nous allons à la rencontre de quatre habitants de la zone qui vivent sous la pression de ne pas être les prochaines victimes de la fureur de ces bandits armés qui ne rendent compte qu’à eux-mêmes.
Pour s’y rendre, nous avons emprunté les routes menant à l’avenue Christophe pour trouver un bus qui assure le trajet Champs-de-Mars / Carrefour. Arrivés au Carrefour Tifour, les gens se bousculent. Ils s’empressent de prendre place dans le bus pour rentrer chez eux.
C’est le cafouillage !
3 heures 15, le bus est rempli de passagers. Le chauffeur démarre. Nous mettons le cap vers notre destination. De l’avenue Magloire Ambroise passant par la rue Cameau, les ruelles donnent l’image d’un champ de guerre. Les murs sont troués de balles. Des barrières sont démontées de leurs clôtures. Les maisons apparaissent quasiment vides.
Autrefois, dans ces recoins de rue, la vie fleurissait. Les gens circulaient sans crainte. Les marchands ne laissaient plus de place sur le trottoir pour les passages piétons.
Maintenant, les ruelles sont désertes. Nous pouvons compter, pendant notre passage, les gens qui traversent ces rues à pied au péril de leur vie.
Au bord de la route, à la ruelle Alerte, au dos du cimetière de Port-au-Prince, les hommes armés s’installent. Ils exhibent leurs fusils d’assaut sans crainte. Certains sont à visage découvert et d’autres sont cagoulés. Parmi eux, nous constatons des jeunes qui donnent l’apparence d’être âgés de quinze ans.
Ils exigent des paiements à chaque autobus qui empruntent la route. Toutefois, nous ne savons pas combien les chauffeurs leur donnent. Avant notre arrivée à Fontamara 43, tout au long du trajet, nous avons dénombré cinq postes de péage. Après celui de la ruelle Alerte, l’on retrouve quatre autres : l’un au carrefour de la première avenue Bolosse, à Martissant 1 devant l’enceinte du commissariat démoli par les gangs depuis les hostilités entre les gangs de Grand Ravine et « Ti Bwa » au mois juin 2021, à quelques mètres, à Martissant 7 se trouve un autre poste et le dernier est à Fontamara 27.
Des arbres poussés à même la chaussée, des montagnes de detritus, des flaques d’eau occupent les artères trouées rendant la circulation difficile. Les vehicules roulent au ralenti. À Martissant, la route est devenue impraticable.
Il est 4 heures 20. Nous sommes arrivés à destination ! Nous voilà à Fontamara 43. À côté de la succursale de la Sogebank un motard nous attend pour nous emmener à la rencontre de ces quatre habitants. On roule pendant presque dix minutes avant notre arrivée à Descayettes, où habitent ces derniers.
Teint clair, vêtu d’un maillot noir et d’un pantalon bleu, Dieudonné, un nom d’emprunt que nous utilisons pour protéger l’identité de la personne, est âgé de 29 ans, il est un étudiant mémorant en Agronomie à l’Université d’Etat d’Haïti, nous reçoit chez lui et nous explique ses plus grandes craintes à vivre à Descayettes.
« Ce qui m’effraie le plus dans la région, c’est la nouvelle du massacre perpétré par l’un des chefs de gangs de Cité Soleil, “Mikanò”. Cela me pousse à me demander si ces malfrats ne se lèveront pas un jour et décident de fusiller les gens dans le quartier. Qui pourra les arrêter ? », nous a-t-il balancé avec un ton de voix inquiet et effrayant avant d’ajouter que : « Ces gangs avec ces armes en leur possession peuvent tout faire à tout moment ».
Dieudonné n’est pas le seul habitant dans le quartier qui a des inquiétudes. Jacques, aussi un nom d’emprunt utilisons-nous pour protéger une autre identité, est un entrepreneur qui vit à Descayettes depuis son plus jeune âge. Maintenant marié et père de famille, de son côté, il se dit préoccupé pour l’avenir de ses enfants. « Mes plus grandes préoccupations dans le quartier sont les deux enfants que j’élève, un garçon et une fille. Le garçon chaque fois qu’il est en train de jouer, je l’entends faire du bruit de cartouche avec sa bouche », nous a déclaré Jacques avec un visage désespérant.
Il continue : « Quant à ma fille, je ne l’envoie pas faire des courses dans les boutiques. La raison pour laquelle je ne l’envoie pas faire des courses, c’est une fille qui commence à se développer, elle peut être victime d’agression de la part de ces gangs. Quand ils commettent ces genres d’exactions, je n’ai personne à qui me plaindre ».
À Descayettes la crainte fait partie du quotidien des habitants. De son côté Mathias, un motard, se dit exploité par ces gangs ainsi il voit sa liberté restreinte. « Je suis un jeune qui aime sa liberté, je me sens coincé dans le quartier, je ne suis pas vraiment dans mon élément, en fait je ne me sens pas à l’aise », nous confia-t-il. Il ajoute : « Je suis un conducteur de moto, ils me font faire des courses qu’ils ne paient pas, ils t’utilisent comme bon leur semble ».
« En plus des courses, ils nous demandent de payer des taxes à chaque fois que nous passons aux mairies qu’ils ont installées sur les routes. Autrefois, ce n’était pas pareil tout a changé dans le quartier » a fini de nous expliquer Mathias.
N’ayant plus le choix, Nicolas est un étudiant finissant en psychologie à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’État d’Haïti, qui vit entre la résignation et le faire-semblant. Il vit à Descayettes depuis sa naissance et y a grandi. Nicolas dit ne pas avoir d’autres choix que d’y vivre puisqu’il n’a pas d’autres endroits où aller. « Je vis entre la résignation et le faire-semblant. La résignation parce que je n’ai pas d’autres choix. Le faire-semblant, c’est une sorte de m’en foutisme, parce que je ne veux pas me laisser aller par les problèmes de limites que m’imposent les gangs armés ».
Dans certains quartiers populaires, les habitants vivent constamment sur la pression des gangs armés qui les terrorisent. La présence de l’Etat est quasi inexistante, ce qui rend les habitants vulnérables face aux répressions de ces gangs armés qui contrôlent ces quartiers. Chaque jour de plus à vivre à Descayettes est un acte de bravoure pour ces personnes.
©️ Djouly MOMBRUN
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