La « Deuxième Symphonie », d’Elsa Barraine, sur Arte.tv : retour de veine d’une compositrice oubliée

La « Deuxième Symphonie », d’Elsa Barraine, sur Arte.tv : retour de veine d’une compositrice oubliée

Elsa Barraine, en 1940. ALAMY STOCK PHOTO Barbancourt le rhum des connaisseurs Sur un portrait photographique, Elsa Barraine (1910-1999), assise au piano, ressemble à la jeune Greta Garbo hors des studios : visage presque androgyne, cheveux courts, traits sérieux et volontaires qui semblent à l’image de la forte en thème qu’était la compositrice, qui obtint plusieurs

Elsa Barraine, en 1940.

Barbancourt

le rhum des connaisseurs

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Sur un portrait photographique, Elsa Barraine (1910-1999), assise au piano, ressemble à la jeune Greta Garbo hors des studios : visage presque androgyne, cheveux courts, traits sérieux et volontaires qui semblent à l’image de la forte en thème qu’était la compositrice, qui obtint plusieurs prix au Conservatoire et le premier grand prix de Rome alors qu’elle était encore mineure. Avant elle, en 1929, seules Lili Boulanger (1913), Marguerite Canal (1920) et Jeanne Leleu (1923) avaient décroché ce Graal.

Très tôt engagée politiquement à gauche, elle écrit, en 1933, Pogromes, qui dénonce les actes antisémites des nazis venant d’arriver au pouvoir en Allemagne. Fermement attachée à une musique accessible au peuple, elle rejoint, en 1937, la Fédération musicale populaire puis adhère, l’année suivante, au Parti communiste.

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Echappe à la Gestapo

Elsa Barraine s’engage dans la Résistance et est très active au Front national des musiciens, alors qu’elle a perdu ses emplois parce que juive par son père, lui-même banni en 1941 de l’Orchestre de l’Opéra où il était violoncelle solo. Elle échappe à deux arrestations par la Gestapo. Sa Symphonie n° 2, composée en 1938, est jouée avec succès après-guerre, notamment à Londres par le chef Manuel Rosenthal, proche de la compositrice. La pièce sera redonnée à la radiodiffusion française en plusieurs occasions, sous la direction de Rosenthal ou celle d’André Cluytens en particulier (en ligne sur YouTube).

Dans les trente dernières années du XXe siècle, la musique d’Elsa Barraine, pour l’essentiel ancrée dans la tonalité, paraît moins à la pointe. Eloignée des milieux communistes après son retrait du Parti, en 1949, Barraine souffrit probablement aussi de ne pas avoir pris le train de la modernité institutionnelle.

Mais, à la faveur des mouvements de revendications féministes, lesdites institutions se sont mises, à peu près dans le même temps, à s’intéresser aux femmes cheffes d’orchestre – qui occupent désormais des postes de premier plan et dirigent Wagner au Festival de Bayreuth, comme la française Nathalie Stutzmann – et aux compositrices souvent injustement oubliées.

Inévitablement, ce mouvement de discrimination positive envers ces dernières se portera sur des musiciennes dont l’oubli ne signifiera pas toujours, loin de là, qu’elles ont été négligées parce que femmes. Mais il suffira alors de se souvenir du nombre colossal de compositeurs médiocres et oubliés à qui la priorité a été donnée parce que hommes.

En 2022, « le label des compositrices » La Boîte à pépites, fondé cette année-là, a révélé de puissantes partitions signées d’un nom pourtant inconnu des histoires et mémoires de la musique française, grâce à un coffret de disques consacré à Charlotte Sohy (1887-1955). Pas de quoi bouleverser l’image de la musique française du XXe siècle, mais de la bonne, de la très bonne musique même.

Très belle marche funèbre

C’est dans cet esprit que Cristian Macelaru, le directeur musical de l’Orchestre national de France, a eu la bonne idée de mettre à son programme – par ailleurs très « plan-plan » : Concerto pour violon, de Brahms, et Images, de Debussy − la courte et dense Symphonie n° 2 d’Elsa Barraine. C’est aussi une manière de saluer le travail fait par cette dernière à la radiodiffusion nationale, où elle fut répétitrice du chœur, cheffe de chant et même preneuse de son, avant de devenir professeure de déchiffrage puis d’analyse au Conservatoire national supérieur de musique de Paris et de terminer sa carrière en tant qu’inspectrice des théâtres lyriques.

Cette symphonie est sous-titrée « Voïna » (la « guerre » en russe), ce qui explique la sourde angoisse qui pointe à travers sa solide charpente. Est-elle un chef-d’œuvre absolu et révélateur ? Non. Sa musique semble avoir pris greffe à la fois chez Albert Roussel, Arthur Honegger, Igor Stravinsky et Serge Prokofiev (la fibre « rouge » de Barraine se révélait aussi dans ses goûts musicaux).

Mais elle est bien faite, bien entendue, avec une circulation à la fois savante et libre des thèmes, et une très belle marche funèbre centrale, fort bien rendue par l’Orchestre national de France (superbes flûtes et hautbois !) et son chef. On attend qu’un travail soit effectué sur le catalogue de cette compositrice qui mériterait d’être réenvisagée sérieusement.

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Renaud Machart
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