Le service des «Droits de l’homme» de la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice (Minujusth) a publié un document de 20 pages contenant les résultats de son enquête menée sur le massacre de la saline les 13 et 14 novembre 2018. Au cours de ces deux jours, des gangs armés se disputant le contrôle de ce quartier défavorisé ont attaqué des résidents ciblés pour leur affiliation alléguée à des gangs armés opposés, exécutant au moins 26 personnes et commettant de nombreux actes de violences, dont au moins deux viols collectifs.
Selon le SDH l’attaque de la Saline était une opération bien planifiée, menée par des membres d’au moins cinq gangs différents avec la possibilité de complicité des membre de l’État contre des membres de deux groupes rivaux (Kafou Labatwa et Projet La Saline), ainsi que des résidents soupçonnés d’être associés à ces deux gangs.
«Le SDH a pu rencontrer de nombreuses victimes et leurs familles, des acteurs de la société civile haïtienne ainsi que des représentants d’institutions étatiques, notamment du système judiciaire, afin de documenter les événements et la réponse des autorités face à ces violences et aux crimes commis» lit- on dans le document.
L’ONU explique le déroulement de l’attaque :
«Le 13 novembre, vers 15h, des hommes armés du gang Chabon ont incendié et détruit des habitations situées à Kafou Labatwa et à Chabon dans La Saline, entrainant le déplacement de plusieurs habitants vers la place d’Italie, à proximité du parlement.Vers 15h30, le gang Chabon rejoint par des membres de quatre autres gangs (Bwadom, Tokyo, Delmas 6 et Pilate) ont attaqué les rues situées plus au nord du quartier, dans la zone de Projet La Saline, entrant en conflit avec les gangs Projet La Saline et Kafou Labatwa».
«Certains membres des gangs étaient vêtus de jeans noirs et T-shirts noirs ou blancs affichant l’inscription « FINAL » ou des chemises ressemblant à celles de la Brigade d’opération et d’intervention (BOID) de la PNH, portant à croire qu’il s’agissait d’une opération de police.
L’arrivée de ces individus armés et vêtus partiellement comme des agents de la BOID, a entrainé la fuite du gang Projet La Saline hors du quartier, ces derniers croyants à une opération antigang de la PNH. Le départ du gang Projet La Saline a directement exposé les résidents du quartier, et notamment ceux perçus comme ayant pu collaborer avec celui-ci, aux membres unifiés des cinq autres gangs. » a écrit les enquêteurs dans la page du document.
«Les individus portant des vêtements ressemblant aux uniformes des policiers de la BOID se sont présentés aux portes des résidents comme étant chargés d’une opération de la PNH. Selon les témoignages, des informateurs 3 les accompagnaient indiquant en particulier les maisons des habitants considérés comme étant associés au gang du Projet La Saline. Des femmes accompagnaient également les gangs et elles procédaient aux pillages des maisons ciblées et transportaient leur butin dans des brouettes.»
« Les assaillants ont alors sorti des résidents à l’extérieur de leur maison puis les ont tués dans la rue, par balle, à coups de hache et/ou de machette créant un climat de terreur dans le quartier. Des résidents tentant de fuir ont été capturés et exécutés ou blessés dans les rues. La majorité des victimes ont été tuées entre 16h et 18h, le 13 novembre.
Les corps des victimes ont alors été transportés dans des brouettes vers des lieux inconnus. Selon des témoignages, plusieurs cadavres auraient été déposés dans les ordures près du magasin Hubert Lemaire (appelé « Bo leme »), sur le marché de Croix-des-Bossales.» a conclu l’ONU pour expliquer ce qui s’est réellement passé ce jour.
Selon les résultats de l’enquête, l’ordre de perpétrer ce massacre aurait été notamment donné par le délégué départemental de l’Ouest, Richard Duplan, qui, s’est fait accompagné de « Jimmy Cherizier alias Barbecue, l’ex agent de police de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO) et de Gregory Antoine alias Ti-Greg, un ex policier de la police administrative, ainsi que de membres de gangs armés vêtus de noir et portant des cagoules selon les témoignages des témoins .Parmi les hommes armés, Gustave alias Chupit, agent du Corps d’intervention et de maintien d’ordre (CIMO) aurait été identifié Donalson (Chabon), Eddy Macca (Bwadòm), Pablo (Tokyo) et Serge Alectis, alias Ti-junior, chef du gang Chabon» ont été remarqués.
Le délégué départemental de l’ouest « Pierre Richard Duplan se serait alors adressé aux membres de gangs en leur disant : « Nou touye twòp moun, se pa misyon sa yo te bay nou » (Vous avez tué trop de gens, ce n’était pas ça votre mission) puis aurait quitté les lieux à bord de son véhicule ».La présence alléguée du délégué départemental et d’agents de la PNH suggère une possible implication de ces représentants de l’Etat dans les événements.
Absence de réponse de la Police nationale d’Haiti durant l’attaque:
«L’attaque de La Saline a duré au moins 14 heures, sans que la PNH n’intervienne. Les trois premières heures ont été les plus meurtrières. Les membres de gangs ont pu attaquer les résidents sans être inquiétés d’une possible intervention de la PNH, malgré la présence à proximité de deux sous-commissariats de police (ceux de La Saline et de Portail Saint-Joseph), du siège du CIMO et de la Brigade d’Opération et d’Intervention (BOID), tous situés à moins d’un kilomètre de la zone affectée. Le sous-commissariat de La Saline se trouve sur le boulevard faisant face au quartier et les agents de la PNH entendaient les cris des résidents. Selon les témoignages, des véhicules de la PNH étaient positionnés à proximité ou patrouillaient les alentours du quartier de La Saline pendant au moins 2 heures au cours de l’attaque des gangs» a constaté les enquêteurs de l’ONU.
« Le manque d’intervention étatique pour protéger la population des violences des gangs est particulièrement préoccupant », ont déploré les défenseurs des droits humains qui recommandent aux responsables de l’Inspection générale de la PNH d’ouvrir une enquête sur l’absence d’intervention de la PNH dans le quartier de La Saline lors des violences des 13 et 14 novembre 2018 afin de contribuer à de mettre un terme aux attaques des gangs.
Au gouvernement d’Haïti, l’ONU demande de « mener des enquêtes approfondies sur les actes de violence commis par les gangs et la complicité présumée de représentants de l’État et d’agents de la PNH à La Saline. » « Les personnes présumées responsables de ces violences, y compris celles exerçant ou ayant exercé des positions publiques, soient promptement traduites en justice conformément aux normes internationales en matière de procès équitable ; et s’assurer de la mise en œuvre effective de mesures disciplinaires appropriées au cours de la procédure judiciaire envers les agents de l’État concernés », exhortent-Ils.