Depuis quelques temps, l’on entend parler de massacre, de pillages orchestrés par différents gangs dans le plus grand marché de la capitale, “Lavil”, où le taux d’insécurité aujourd’hui ne fait que grimper. Pourtant, cela n’empêche pas aux marchands d’y exposer quotidiennement leurs produits, espérant vendre et faire du profit comme c’était le cas autrefois.
10 heurs 45, nous sommes au coeur de “Lavil”. Nous déambulons les rues en quête d’informations, ce que nous constatons est une angoisse criante et une peur au fond des yeux. Recueillir des informations sur l’insécurité qui sévit dans le plus grand centre commercial d’Haïti, à savoir “Lavil”, n’est pas chose aisée. Pour cause, la menace de mort. Tous, c’est-à-dire les marchands, ont peur d’éveiller la colère des différents gangs qui dictent leur loi dans le marché. Ne voulant pas attirer la foudre de leur colère, personne n’a voulu enregistrer leur témoignage et dénoncer les abus dont ils sont victimes au grand jour dans le marché sinon que faire le récit leur calvaire.
Un dicours similaire. Que ce soit à la rue Front Fort, longeant la rue des César et la rue du Peuple, l’histoire reste la même. Tous se retrouvent entraînés dans les échanges et sont obligés de délaisser leur marchandise pour se mettre à l’abri des balles des assaillants.
“Est-ce que l’État pense à nous ?, il est évident que non. Nous sommes des laissés-pour-compte, des oubliés de l’appareil étatique, mais puisque nous sommes responsables de nos familles, l’on est dans l’obligation de venir défendre notre pain quotidien”, s’est plaint une marchande qui n’a pas voulu que son nom soit révélé.
Constamment en alerte, certains nous racontent la galère de devoir vivre sous pression chaque jour. “À force de subir cette pression qui nous pèse, j’ai des maux de tête tous les jours. Et c’est affreux de devoir vivre avec une telle angoisse. Cela ne fait qu’augmenter nos déboires. De plus, c’est extrêmement fatigant de guetter le moindre dérapage afin de réagir à temps”, nous révèle une marchande de la rue des César.
Pour certaines, cette situation est catastrophique et, pour d’autres, c’est une perte de temps. “Nos journées entières sont gaspillées vu que nous ne pouvons écouler nos produits”, nous confie une autre marchande de la rue des César. Pourtant, prendre la décision de ne plus descendre au marché reste bien difficile pour elles. “C’est ici que nous avons toujours vendu nos marchandises, c’est ici que nos clients viennent pour se ravitailler quoique depuis la montée de l’insecurite les gens hésitent à venir. Mais nous ne pouvons pas juste du jour au lendemain nous plier à une telle decision”, nous explique la même marchande lorsque nous avons soulevé ce point crucial. La circulation de l’argent devient quasiment rare.
Selon l’avis de l’économiste Enomy Germain, l’insécurité, qui sévit dans ce marché, brassant d’habitude plusieurs millions, a fait perdre de grosses sommes d’argent aux différents acteurs de l’économie, notamment les marchandes et marchands. “Toutefois l’on ne saurait estimer à combien s’élève les pertes au vu du manque de données concernant le brassage d’argent dans ce marché”, a-t-il ajouté tout en mentionnant qu’il est clair que le manque à gagner est énorme.
À la question de savoir si la non circulation de l’argent est-elle l’une des causes de la montée de l’inflation en Haïti, ce dernier répond : “il est vrai que le marché du centre ville desserve un très grand nombre de petits marchés et de ménages de la capitale et qu’à cause du climat d’insécurité qui y règne depuis un certain temps, l’activité économique des marchandes a considérablement ralenti. Cependant, cela n’empêche peut-être pas à ces marchandes de délocaliser en partie leurs activités économiques. Certes, le coût de leur approvisionnement peut être plus élevé, mais aucune étude n’a prouvé que la détérioration de l’activité économique des marchandes pouvait être l’une des causes de la montée de l’inflation dans un pays ; l’on ne saurait donc approcher la question en ce sens.