Cette transition qui n’en finit pas
Par Pierre-Raymond DUMAS
De l’improbable Accord politique au « rache manyok »
Les problèmes sont tragiques, le baril de poudre politique est sur le point d’exploser. La majorité silencieuse doit se prononcer pour éviter l’explosion de la bulle des « criseurs ». En sortant du déni et en parlant vrai et honnête en tous points. Je trouve scandaleux qu’en Haïti, soient posées autant de barrières à l’épanouissement et à l’avenir de la jeunesse en souffrance
Cela s’avère être un drame séculaire. Faisons un tour d’horizon à grands traits.
Le grand problème auquel ne s’attelle pas notre establishment, c’est l’opposition, qui me semble nuisible, pour notre survie même, entre la masse des démunis et la minorité des possédants. D’un côté, la bidonvillisation, la ghettoïsation, la gangstérisation amplifiées après 1986, surtout à la faveur de l’émergence de cette « société coloniale sans sanctions », pour répéter Alin Hall, de cet Etat failli, celui dit des « chimè » et des « bandits légaux », autres « protagonistes du chaos ». C’est un monde chaotique, mais glacial et désert, suspicieux envers toute forme d’autorité et de stabilité.
D’un autre, dans la société haïtienne, la loi a divorcé de la vie. Cela pose problème. Nous nous trouvons à l’heure actuelle dans une situation où les couches populaires, les classes moyennes et les nantis se retrouvent tous liés et interdépendants dans l’insalubrité, l’insécurité et la violence, c’est-à-dire dans la merde. L’enfer, c’est nous. Nous tous ! … En tous cas, nous avons un pied en enfer. Par conséquence, lorsqu’une difficulté de quel ordre que ce soit apparaîtra, les trois partenaires seront concernés. Le présage de l’imminence d’une crise institutionnelle et politique dix fois plus puissante que celle d’autrefois affectera tous les citoyens avec une force considérable. Sans distinction aucune.
Le seul élément de réglementation qui aurait pu réduire cet appétit de malheur collectif – en somme un Accord politique ou de gouvernement suffisamment consensuel – n’a pas été proposé jusqu’ici en lieu et place de cette stratégie apocalyptique du tout ou rien. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », écrivait Lénine. Mais où est-elle chez nous ? De part et d’autre, le chemin est parsemé de méfiance, d’injures orageuses, de « fake news » … A mon avis, cette culture de l’affrontement suicidaire inadaptée aux règles de l’Etat de droit va encore faire augmenter le coût des dégâts en tous genres et pousser probablement le pays dans la boue de l’intervention étrangère.
Ce n’est pas assez de dire que le coût d’un protectorat direct ou déguisé qui ressemble à un contre-modèle de transition est plus élevé qu’une solution nationale concoctée in fine par la communauté internationale. On en vient ainsi à évaluer les propositions de sortie de crise – les unes plus radicales que les autres.
Alors que faut-il faire ?
La première des choses à faire est de s’entendre sur un ensemble d’objectifs communs. Un air de déjà vu. L’Haïtien n’est pas hélas un esprit constructif, un être de dialogue et de compromis. C’est un adepte du dechoukaj. Ni plus ni moins. N’ayons pas honte de le reconnaître et de le dire sans fard.
Pourtant, l’heure n’est plus au cannibalisme clanique, l’heure n’est plus aux surenchères vociférantes. L’heure est venue d’apprendre à reconnaître les erreurs et les crimes des uns et des autres. Nous nous trouvons au bord du précipice, lequel d’entre nous a envie de vivre l’expérience du dechoukaj s’il n’en fait pas le choix à ses risques et périls une fois de plus ?
Il y a urgence à adopter une série de mesures courageuses et salvatrices. Avec des élus (la Chambre des députés, les Collectivités territoriales et un tiers du Sénat) et des hauts responsables d’institutions stratégiques (la Police nationale d’Haïti, la Banque de la République d’Haïti, la Commission Nationale des Marchés Publics et la Banque nationale de Crédit) en fin de mandat, elles devront être concertées, inclusives. En ce qui concerne la tension haïtienne entre les élections et les résultats subséquents, toujours contestés, il faut recréer l’équilibre de participation collective à la bonne marche de la nation en suscitant une synergie sociétale pour la reddition des comptes et la moralisation de la vie publique en vue de combattre l’impunité sous tous ses aspects.
C’est incontournable ! La combinaison de ces deux éléments permettra rapidement de remonter les revenus de notre Etat et de le libérer progressivement de ses énormes déficits cumulés alimentés par la contrebande, les franchises, les surfacturations liées aux commandes publiques et la fraude fiscale.
Un élément fondamental sera la séparation effective des trois pouvoirs grâce à la réforme constitutionnelle pour agir sur les paramètres de la bonne gouvernance et les impliquer directement au travers de participations de toutes les couches de la société dans des actions citoyennes organisées.
La vérité, c’est qu’on connaît tous les termes du drame haïtien, on n’a rien à inventer comme solution, tout est connu. Noyé dans un univers grimaçant, le drame, c’est que le personnel humain pour « déchouquer » les forces conservatrices ou les profiteurs du statu quo, de ce « système essentiellement anticapitaliste », comme l’a fait ressortir Fritz A. Jean dans son livre (Haïti, la fin d’une histoire économique) fait défaut. « La pâte est mauvaise », reconnaissait le président à vie Dr François Duvalier, à son époque aussi troublée.
Les fois qu’Haïti a fini par sombrer dans l’anarchie du « rache manyok » ou du dechoukaj ne peuvent pas se compter sur les doigts des deux mains. C’est un sport national, le dechoukaj ! Alors, on comprend pourquoi nous sommes si pauvres et arriérés en tous points ! L’échec est partout. Jolie surprise que ce pays plongé dans la violence, la corruption et la misère. On vit toujours la même déchirante époque avec des acteurs et un décor différents.
La responsabilité des hommes de bien qui savent doit être engagée sans désemparer. C’est par leur activisme constructif que les bulles de l’incurie, de l’instabilité à tout-va et de l’inefficacité gouvernementale s’estomperont. Mais c’est un fait coriace que la prise en charge effective de ce « pays foutu » par la Communauté internationale peut intervenir en fin de compte, pour freiner sa chute vers l’abîme de l’ingouvernabilité. Tout son chemin d’existence et d’évolution en porte l’empreinte et lui doit certainement son poids maléfique.
Pierre-Raymond DUMAS