L’ex-premier minisitre tchadien Succès Masra, à N’Djamena, le 8 mai 2024. ISSOUF SANOGO / AFP Dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse (AFP) jeudi 21 novembre, l’opposant Succès Masra, qui entend boycotter les élections législatives et communales du 29 décembre au Tchad, dénonce une « mascarade » et accuse Paris de « freiner » le processus démocratique par son soutien au président
Dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse (AFP) jeudi 21 novembre, l’opposant Succès Masra, qui entend boycotter les élections législatives et communales du 29 décembre au Tchad, dénonce une « mascarade » et accuse Paris de « freiner » le processus démocratique par son soutien au président Mahamat Idriss Déby.
« Personne n’a voulu tirer les leçons de la présidentielle, qui était déjà un vol en règle, et on se dirige vers un bis repetita pour ces élections », dénonce l’ex-premier ministre et candidat malheureux à la magistrature suprême. Il estime avoir largement gagné face à M. Déby, proclamé chef de l’Etat après la mort de son père en 2021 et élu président le 6 mai au terme d’un scrutin jugé « ni libre, ni crédible » par des ONG internationales.
Pour ces premières législatives dans le pays depuis 2015, « on se retrouve avec un camp face à lui-même », dit-il, puisque le Mouvement patriotique du salut (MPS), du président Déby, affronte ses alliés de la coalition Tchad uni, qui avaient soutenu son élection. M. Masra dénonce aussi le nouveau découpage électoral décidé mi-août, qui consiste à « réduire le poids électoral des provinces les plus peuplées pour favoriser les moins peuplées ». Le chef du parti d’opposition Les Transformateurs aurait voulu un report des législatives en 2025 pour permettre aux quelque 2 millions de personnes affectées par des inondations (576 morts depuis juillet) de « voter dans de bonnes conditions ».
De passage à Paris, il a rencontré des conseillers du président Emmanuel Macron pour leur faire « passer un message » : « L’attitude de la France constitue un frein dans notre processus démocratique. » En cause, l’empressement de Paris à féliciter le fils Déby après l’annonce de sa victoire en mai, « sans aucune preuve et alors qu’on n’a jamais reçu les fichiers des résultats ni les copies des PV ». « Le minimum aurait été de rester neutre, mais la France a clairement choisi une famille au détriment du peuple tchadien, qui voulait le changement », poursuit M. Masra.
Soutien sans faille
Par le passé, les autorités françaises ont souvent été critiquées pour leur soutien sans faille au maréchal Idriss Déby Itno, qui a dirigé le Tchad d’une main de fer pendant plus de trente ans avant d’être tué par des rebelles en se rendant au front. Emmanuel Macron avait alors aussitôt adoubé « Kaka », comme les Tchadiens surnomment son fils, désigné par une junte pour lui succéder. M. Macron a récemment « rappelé l’importance pour la France du partenariat privilégié qu’elle entretient avec le Tchad ».
Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, se rend d’ailleurs le 27 novembre à N’Djamena, dernier ancrage militaire de la France au Sahel, où Paris entretient plusieurs centaines de soldats et trois bases militaires.
Pour Succès Masra, « c’est une grosse erreur que de privilégier la prétendue stabilité politique et institutionnelle en aidant “l’homme fort” à se maintenir au pouvoir » et en faisant fi de la répression sanglante et répétée qui vise l’opposition et les militants des droits humains depuis trois ans. Cela montre selon lui la « faiblesse » des Français, « prêts à tout » pour rester dans les bonnes grâces du régime tchadien, courtisé par d’autres puissances.
N’Djamena a récemment renforcé sa coopération avec la Russie, notamment pour les achats d’équipements militaires, et s’est rapproché des Emirats arabes unis, qui lui ont octroyé un prêt de 500 millions de dollars – une « rétribution déguisée », selon les détracteurs du régime, pour faciliter des livraisons d’armes aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dans la guerre contre l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhane au Soudan voisin.
« Avec cette logique, c’est le plus armé qui gagne. Sauf que ça ne résout rien si ces dirigeants n’ont pas de légitimité démocratique et sont contestés jusque dans leurs propres rangs », affirme M. Masra, pointant les divisions au sein même du clan présidentiel et la menace des multiples groupes rebelles qui sévissent dans le pays. « C’est même dangereux, regardez où cela a conduit le Soudan, d’avoir des “hommes forts” : à la fin tout le monde se tape dessus, le pays se délite, il n’y aura pas de gagnant. »
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