« Fabrice Luchini lit Victor Hugo », au Théâtre du Petit Saint-Martin, à Paris, en décembre 2023. STÉPHANIE GUERTIN Que Fabrice Luchini soit un phénomène, c’est une évidence. Qu’il soit surtout un exceptionnel comédien est l’autre certitude devant laquelle s’incline le public du Théâtre de l’Atelier, à Paris, où se joue le dernier spectacle de l’artiste (qui
Que Fabrice Luchini soit un phénomène, c’est une évidence. Qu’il soit surtout un exceptionnel comédien est l’autre certitude devant laquelle s’incline le public du Théâtre de l’Atelier, à Paris, où se joue le dernier spectacle de l’artiste (qui le reprendra, à partir du 19 janvier 2025, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris).
Presque deux heures d’une déferlante de sensations, d’émotions et de mots où il n’est question que de Victor Hugo. Hugo encensé par Baudelaire et salué par Péguy. Hugo à qui l’acteur se garde bien d’édifier une statue de marbre mortuaire (ce n’est pas son genre), mais qu’il fait se dresser, aujourd’hui, vibrant, sensuel, humain. Plus nécessaire à nos vies que jamais. S’il ne fallait d’ailleurs retenir qu’une fulgurance de cette ardente représentation, ce serait la nécessité impérieuse des noces entre la poésie et l’humanité. Un cliché ? Oui, mais qui est ici décapé : sans poésie, l’humanité est pauvre en paroles, sans l’humanité, la poésie n’a pas grand-chose à dire.
Comment l’acteur opère-t-il ce tour de force ? Dans les premières pages du Soulier de satin (1929), un Annoncier se présente qui avertit chacun : « Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouvez pas amusant qui est le plus drôle. » Paul Claudel n’est pas convoqué sur le plateau, mais Fabrice Luchini aurait pu le citer en préambule programmatique. Pas seulement parce que le public cesse de tousser à l’instant où il l’en conjure, dans une de ses adresses effrontées dont il a le secret. Mais aussi parce qu’il fait naître, dans la salle, un sentiment océanique. Lui appelle ça la fraternité : « Vous êtes 600 à être présents chaque soir, je n’ai jamais vécu cela », s’enthousiasme le comédien.
Une impalpable communion
Le fait est : une impalpable communion se noue autour de la littérature menée par Hugo vers des hauteurs stratosphériques et que l’acteur sait mettre en scène avec un art consommé du suspense, de l’attente et des montées en puissance.
Moins cabot qu’à l’ordinaire, parfois même solennel, et presque douloureux lorsque résonne la Pastorale de Beethoven (« ce sourd qui avait une âme entendait l’infini »), il froisse et défroisse son manuscrit, met ses lunettes, les enlève, agace de sa main droite sa manche gauche, fixe le public d’un œil enfantin mais roué de séducteur patenté. Son visage est plastique. Sa voix vagabonde en confidences ou en invectives. Il feint de bredouiller, avant de dire les vers en droite ligne. Il reste longtemps debout adossé à une table de bois, s’assoit sur la chaise et puis sur le fauteuil. Trois ou quatre déplacements dans l’espace, pas plus.
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