À la fin de l’année 2012, en Haïti, l’Opposition politique se déchaîne contre le pouvoir en place. Le chanteur polémique Sweet Micky devenu président Michel Joseph Martelly essuie des attaques politiques au même titre que ses offensives contre la presse. Et les scandales entourant son administration avec. Et de fait, un fait sexuo-politique va faire la une de tous les journaux et étale au grand jour une pratique sous-jacente mais assez courante dans l’administration tant publique que privée. C’est la situation où des femmes se font violenter sous fond de rapports sentimentaux entretenus avec leur supérieure hiérarchique. Ou encore, elles se voient contraintes à des négociations sexuelles, sinon, soient elles ne sont pas embauchées, soient elles subissent de fortes pressions au risque de perdre leur emploi.
Du milieu du travail à la violence sexuelle
Scandale public, violence sexuelle, discours contradictoire, violation de la loi. Le système judiciaire haïtien mis à nu quand des menées politiques ou jeux de manipulations lation dictent son fonctionnement. Et pour cause, la supposée victime puisque la justice légale ne se sera jamais prononcée sur cette affaire a abandonné les poursuites engagées contre son présumé agresseur qui aurait tout fait pour en arriver là.
Cela n’est qu’une partie des faits, la pointe de l’Iceberg d’un phénomène très courant en Haïti où des femmes se voient contraintes d’entretenir des relations sexuelles avec des autorités suffisamment puissantes pour leur garantir l’accès à des postes ou leur maintien dans certaines fonctions.
Au pire des cas, elles sont mêmes battues pour espérer rester sur le marché du travail. En 2012, une ancienne employée du Ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales, amie intime du présumé violeur, avait su le révéler. Nonobstant la violation de la loi, les contraintes judiciaires sont plus que scandaleuses dans le pays surtout lorsqu’il s’agit d’harcèlement et de violence sexuelle. Ainsi, s’agissant du dossier en question, les avocats de la partie civile et de la défense ne se sont jamais entendus sur ce qui s’était réellement passé.
Le phénomène des femmes et probablement des hommes également- consentants/tes ou pas qui baisent pour pouvoir travailler, on n’en parle pas. La société haïtienne se tait quasiment. On fait, on vit avec. Pourtant, l’administration tant privée que publique regorge de harceleurs, violeurs ou agresseurs sexuels multirécidivistes bien connus, jouissant d’une impunité totale. Des affaires sordides liées à une conjoncture, dénoncées dans la presse, font couler à chaud beaucoup de salive et d’encre. Mais, aussi choquantes qu’elles soient, comme toujours, elles sont toujours vite oubliées. On passe ensuite à autre chose.
Quand une victime crache le morceau et que l’accusé riposte !
Au premier trimestre de 2013, le scandale politico-sexuel impliquant le Dr. Harisson Ernest, alors directeur général de la Radio et de la Télévision Nationale d’Haïti (RTNH), avec notamment sept femmes du personnel qui se disaient harcelées sexuellement, avait bien illustré cet état de fait. Et à juste titre, Stéphane Éveillard, journaliste célibataire travaillant à la RTNH en ce temps là, n’avait pas mâché ses mots. 5 ans après, elle en reparle. Mais cette fois, avec un air de désolation, eu égard au sort réservé aux poursuites légales.
Fin septembre 2017, après les accusations dont il avait fait l’objet, on a été reçu par le psychiatre et présumé harceleur sexuel, Harisson Ernest, à son bureau de la Plateforme Kore Lavi (PKL), nouvelle structure dont il est le le fondateur. Nouvelle image projetée, constate-t-on. L’ancien fonctionnaire, qui était devenu un zélé propagandiste du régime Tèt Kale (Crâne rasé en français) du Président Michel Martelly, se contredit. Environ deux ans après cette histoire qui avait défrayé la chronique, il préfère parler de complot politique. Le harcelé, c’était plutôt moi, s’exclame-t-il, alors qu’à la direction générale de la RTNH il avait battu le record de lettres de blâme distribuées aux employées-femmes du média d’Etat. L’ancien directeur explique qu’il ne faisait que remettre de l’ordre !
Le harcèlement sexuel en Haïti vu par un psychologue
Ce qu’il est donné de retenir de ce scandaleux cinéma médiatique qui avait pris une nette tournure politique, c’est qu’aucune poursuite légale d’une instance judiciaire n’a été à ce jour enregistrée. Des dénonciations de toutes parts, des rapports restés sans suivi sérieux et crédible de Solidarité Femme haïtienne (SOFA), du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) ou de l’Office de la Protection du Citoyen et de la citoyenne (OPC). L’affaire a fini sa course dans les tiroirs.
Dr Harisson Ernest, coupable ou non, sans avoir été jugé par la justice. On fait avec ! De la même manière, le Dr Josué Pierre-Louis occupe encore et toujours des fonctions de prestige, comme celle actuellement de coordonnateur général de l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), chargé de recruter et d’encadrer les agents de la fonction publique. Tout ça, sans que la très soumise et corrompue justice haïtienne, selon le sentiment général de bon nombre d’observateurs, n’arrive à dire si les présumés violeur et harceleur sont coupables ou non. On fait avec !
Plus d’un se demande donc comment un présumé harceleur ou violeur peut recruter dans la transparence, l’équité et la moralité des agents et agentes de la fonction publique !
Éthique, conviction et responsabilité. Parlant de harcèlement et/ou de violence sexuelle, le professeur de psychologie à l’Université d’État d’Haïti et au Séminaire de Théologie Evangélique de Port-au-Prince (STEP), Wilner Iléus Jean y voit la recherche d’un juste milieu entre ce qu’il appelle l’éthique sexuelle de conviction et celle de responsabilité. Ses explications.
Sans négociation, pas de travail, malgré la loi!
Fort de tout cela, on sait que le harcèlement sinon la violence sexuelle est puni par la loi, avance Me Mario Joseph, responsable du Bureau des avocats internationaux (BAI). Il précise que l’article 2 du décret du 6 juillet 2005 ayant modifié le régime des agressions sexuelles est ainsi formulé : L’article 278 du code pénal se lit désormais comme suit : Quiconque aura commis un crime de viol, ou sera coupable de toute autre agression sexuelle consommée ou tentée avec violence, menaces, surprise ou pression psychologique contre la personne de l’un ou l’autre sexe sera puni de 10 ans de travaux forcés. Fin de citation.
Le harcèlement sexuel interprété comme une sorte de manifestation de la violence sexuelle ou psychologique, de l’avis de l’homme de loi attaque les fondements moraux de la société muette sur ce sujet tabou mettant aux prises les rapports inégaux entre homme et femme. L’avocat, dévoué à la défense des femmes victimes de harcèlement et de violence sexuelle dit constater la faiblesse criante du système judiciaire haïtien quand il s’agit de traiter des dossiers mettant aux prises des autorités souvent puissantes à des victimes pour avoir été des femmes, pour avoir fait partie de ce que le Dictionnaire Larousse Maxipoche (2013) identifie comme le sexe faible, maladroitement.
Beaucoup de femmes baisent de façon consentante, par la contrainte ou la violence pour s’assurer de pouvoir travailler. Si vous ne négociez pas, vous ne travaillez pas ! À ce niveau, les langues se délient et les témoignages pleuvent.
Y a-t-il des femmes en Haïti qui baisent pour travailler ? C’est-à-dire qui se font harceler, violenter, qui sont contraintes à des négociations sexuelles pour trouver un emploi ou avoir une promotion ? Oui ! Voulez-vous quelques noms ? Ne comptez pas sur les unes ni sur les autres ! Plusieurs d’entre elles ont préféré garder le silence. D’autres le brisent, mais avec beaucoup de précaution comme c’est le cas dans ce dossier où elles ont toutes refusé d’être filmées. Leur nom et la photo de quelques-unes ont été modifiés.
La situation est affligeante pour Marlide Théagène. Vous comprendrez que pour préserver sa dignité et sa sécurité, son identité a dû être modifiée. Elle est économe dans un établissement scolaire à Cabaret, commune non loin de Port-au-Prince. Le directeur de l’école, marié, père de plusieurs enfants, qui était à l’origine de son embauche, la rend malade. Elle explique dans l’audio ci-après.
Marlide, n’ayant pas pu trouver un autre emploi plutôt décent et sans risque d’harcèlement direct, a laissé le pays et réside actuellement en Amérique Latine avec sa mère.
Le harcèlement automatique à l’égard des femmes dans le privé, la presse en particulier!
Une fois qu’on est stagiaire dans une entreprise en Haïti, particulièrement dans des médias, subir le harcèlement psychologique et sexuel est automatique. Sandine complétait l’équipe de l’un des plus grands journaux d’Haïti. Ne voulant pas céder aux pressions machistes, elle a dû, nous confie-t-elle, quitter son stage bien plutôt que prévu. Pareille pour Guerda qui a préféré abandonner que de subir les agressives masculines. Elles témoignent.
Si des femmes sont condamnées au mutisme et à l’acceptation, d’autres, en revanche, brisent le silence sous peine de perdre leur emploi. Toutefois, elles ne pensent pas vraiment que l’autonomisation des femmes aura de sitôt gain de cause sur le machisme, le sexisme toujours présent dans les milieux haïtiens du travail.
Les rapports sociaux entre homme et femme relatifs aux rôles et responsabilités qui sont attribués à chacun sont de nature changeante, selon la dynamique sociale, conçoit-on. Laquelle dynamique demande volonté politique, engagement, défense des droits des femmes et acceptation humainement valorisante de la condition féminine.
Par ailleurs, « Le harcèlement sexuel en milieu du travail », tel a été le sujet autour duquel les organisations Solidarité Femme Haitienne (SOFA) et Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) ont mené une enquệte avec le soutien financier de OXFAM / AMERICA et dont le rapport a été sorti en mars 2015. Les conclusions du rapport, lit-on, démontrent l’étendue de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes. Le rapport fait état de 8 % des femmes des secteurs de l’administration publique et ONGs qui ont déclaré se sentir victimes directement de la part de leurs patrons, de leurs directeurs, de leurs superviseurs et de leurs collègues de sexe masculin. S’agissant des femmes interrogées dans le secteur des travailleuses domestiques et de manufacture, 11% assurent avoir été victimes, du propriétaire, d’un superviseur, d’un supérieur, d’un directeur, etc.
Le silence face aux actes de harcèlement et de violence sexuelle en Haïti est des plus déconcertants. Et pourtant, le rapport SOFA-RNDDH révèle que plus de 72% dans les secteurs des travailleuses domestiques et de manufactures, 41% chez les fonctionnaires (public/privé) sont témoins de ces actes.
Avec un taux de chômage qui, en 2014, dépassait les 60% de la population active, selon l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI) et la Banque Mondiale, Haïti n’a toujours pas tourné le dos aux pratiques de marchandage sexuel appelés vagins notés ou notes vaginales, en créole « Bouboun pou nòt » existant dans des écoles et universités, selon le même rapport du RNDDH sorti en 2015. Même avec le quota légal de 30 % de participation des femmes dans les institutions publiques, qui n’est pas respecté, l’élimination des structures sociales, psychiques voire administratives rabaissant les femmes au statut d’objets sexuels, réduisant la féminité à un conditionnement limitatif socialement, reste un combat à mener. Un combat qui commence à porter fruit, se réjouissent des organisations féministes.
Il faut noter une légère augmentation de la scolarisation des filles et des femmes en Haïti ces dernières années. Selon des statistiques datées de 2014 de l’organisation onusienne pour l’éducation, la science et la culture, l’éducation de la population féminine stimule la productivité et la croissance économique. Certains pays, d’après l’UNESCO, accusent un manque à gagner d’1 milliard de dollars par an, parce que le niveau d’éducation des filles est inférieur à celui des garçons.
Pourquoi en Haïti, dans beaucoup de cas, faut-il que des femmes soient contraintes à des négociations sexuelles avant de pouvoir trouver un emploi, le garder ou pour bénéficier d’une promotion ? Ce qui constitue d’ailleurs une violation de la loi régissant ce domaine. Il faut punir les coupables et que cela cesse une bonne fois pour toutes, selon des organisations de défense des droits des femmes ! Beaucoup de femmes, difficile de trouver des chiffres plus précis, font face à la situation à la faveur de laquelle elles sont obligées de chômer, si elles refusent de baiser. Pour un certain nombre de femmes qui ont pu quand même être embauchées, le fardeau du harcèlement de tous les jours finit toujours par tourner à la violence. Mais la société n’en parle ou ne veut pas en parler. On fait avec !
À constater que des femmes baisent ou sont contraintes à des négociations sexuelles pour travailler, et que cela ne nuit pas à la société, n’y-a-t-il pas lieu de s’inquiéter des fondements moraux de la structure sociale, eu égard aux rapports homme-femme en Haïti ?
Guervens Ricardo JEAN-JACQUES