Le président de la Commission Spéciale sur l’amendement de la constitution de la Chambre des députés, Jerry Tardieu, a présenté un rapport partiel sur l’amendement de la loi mère du Pays après consultation des différents secteurs de la vie nationale. Un document qui devrai être distribué, par la suite, aux autres élus de la chambre des députes afin d’être évalué.
Art 133 de la constitution stipulant que « Le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République, Chef de l’État; b) le Gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre ». L’article 134 offre au Président de la République une base de légitimité nationale : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants, établie à partir des votes valides conformément à la loi électorale ». L’article 137 crée les conditions d’une tension entre le Président de la République et le Premier Ministre d’une part et, d’autre part, une confusion entre le Pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 26 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Le Président de la République choisit un Premier Ministre parmi les membres du parti ayant la majorité absolue au Parlement. La majorité est établie sur la base des résultats électoraux des élus dans chacune des deux Chambres. A défaut de cette majorité, le Président de la République choisit le Premier Ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des Députés. En effet, le pouvoir gouvernemental du Président de la République s’arrête aussitôt qu’il a fait choix du Premier Ministre qui doit être validé, en tant que chef de Gouvernement, chargé de conduire la politique de la nation, par le Parlement au terme d’un vote de confiance. (Article 158) Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions prévues par la Constitution. (Article 156) Le problème se situe dans la désarticulation des diverses logiques constitutionnelles : • un Président élu sur la base d’un programme, privé de pouvoir gouvernemental ; • un Premier Ministre choisi au sein du parti majoritaire au Parlement, donc n’est pas lié par le programme du Président ; • un Premier Ministre qui, pour être chef de Gouvernement, doit obtenir le vote de confiance de sa Déclaration de politique générale par le Parlement devant lequel il est responsable. 2.1.2. Un mélange du régime monarchique constitutionnel et du régime républicain Le montage institutionnel relatif à l’Exécutif apparaît comme un mélange du régime monarchique constitutionnel du Royaume-Uni et des pays du Commonwealth d’un côté, du régime républicain de l’autre côté. Comme le monarque, le Président de la République d’Haïti, chef de l’État, n’a aucun pouvoir gouvernemental. Son rôle est réduit à la représentation symbolique. Par conséquent, le pays est gouverné par un Premier Ministre 27 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE qui dépend du Parlement. Il en résulte une confusion de facto entre l’Exécutif et le Législatif, qui est un des principaux traits du régime monarchique constitutionnel à l’anglaise. La séparation des pouvoirs n’est nullement un principe cardinal du régime monarchique constitutionnel. Certes, les magistrats y jouissent d’un haut degré d’indépendance ; mais, c’est plus par tradition que par des garanties constitutionnelles. De même, le Parlement a la compétence en matière de vote des lois auxquelles Exécutif et administration se soumettent. Mais, ces pouvoirs se confondent ou se recoupent. Le Pouvoir exécutif émane du Pouvoir législatif : ceci se trouve quasiment dépossédé de l’initiative des lois au profit de celui-là. Le Pouvoir législatif se borne le plus souvent à enregistrer, après quelques retouches consenties en commissions parlementaires, les lois présentées par l’Exécutif. Par ailleurs, la même Constitution opte pour le républicanisme. Dans une République la séparation des pouvoirs est un principe cardinal. C’est ainsi que la Constitution fait des citoyens les véritables détenteurs de la souveraineté nationale dont ils délèguent l’exercice aux « trois (3) pouvoirs : a) le pouvoir législatif; b) le pouvoir exécutif ; c) le pouvoir judiciaire ». Et elle consacre « le principe de séparation des trois (3) pouvoirs » (article 59). Ce principe veut que ces trois pouvoirs soient séparés et arrêtés l’un par l’autre, par un jeu de poids et contrepoids. 2.1.3. Une source de contradictions Un certain nombre d’intervenants voient dans l’Exécutif bicéphale le principal facteur de la crise gouvernementale chronique que connaît le pays. À ce propos, ils mettent en exergue une série de contradictions : le peuple vote un Président de la République de qui il attend des résultats ; mais, c’est le Gouvernement qui a la compétence pour conduire la politique de la nation. Ce Gouvernement, lui-même, se trouve sous la coupe d’un Parlement tout puissant. Et, de leur côté, les parlementaires sont assez peu intéressés à soutenir la mise en œuvre de la Déclaration de la politique qu’ils ont votée ; ils COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 28 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. sont davantage préoccupés à obtenir du Premier Ministre et des ministres le financement des projets pour leur circonscription. Cette attitude, elle-même, ne relève nullement d’une corruption ; c’est une réaction à des contraintes qui pèsent sur leurs épaules : le député ou le sénateur est perçu par les populations locales comme leur agent de liaison auprès de l’administration centrale qui est totalement absente sur le terrain des services et de développement local ; et non pas comme un législateur ayant la tâche de voter la loi et de contrôler l’action du Gouvernement. Ces notions demeurent incomprises par la grande majorité de citoyens qui sont pourtant détenteurs de la souveraineté nationale. La réélection d’un parlementaire dépend donc de ses réalisations au sein de sa communauté, et non pas de sa performance dans le travail législatif. S’agissant du Président de la République, Chef de l’Etat, il faut noter une autre contradiction spécifique : cette fonction consiste à veiller « au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions » aussi bien qu’à assurer « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (article 136) ; mais, une telle fonction n’est assortie d’aucun pouvoir. Le Président de la République n’a aucun moyen d’influer sur les politiques publiques qui lui échappent totalement. Cela n’est pas arrivé par hasard : « on a édenté le Président ; on a fait de lui un mineur », répètent souvent certains intervenants pour s’en réjouir ou le déplorer. C’est ainsi que les présidents de la République sont conduits à entrer en conflit avec la Constitution. Parce qu’elle s’attaque à un modèle culturel dont ils sont imprégnés : celui du chef de l’État, tout puissant, maître des vies et des biens, dispensateur de bienfaits et de privilèges aux « fidèles » et de terribles châtiments aux « ennemis » ; image qui cristallise les expériences de pouvoir autoritaire et despotique continuellement répétées au cours des générations. Ce montage institutionnel apparaît comme une réaction démocratique à ce modèle. Le conflit des présidents avec la Constitution se mue en conflit avec les premiers ministres. 29 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE Ce modèle imprègne fortement la culture politique haïtienne : c’est le Président qui décide et fait exécuter. Au point où même dans les milieux médiatiques apparemment les mieux informés, on parle et on écrit : l’administration X-Y pour désigner le tandem exécutif dans l’ordre de préséance Président/Premier ministre. C’est ainsi que, après trente ans, l’image du Premier Ministre ne s’est jamais réellement ancrée dans les esprits. D’où la fragilisation des premiers ministres qui ne restent en fonction qu’entre 12 à 18 mois en moyenne. Et c’est tout naturellement que même les anti-autoritaristes les plus convaincus plébiscitent le retour au régime présidentiel. 2.1.4. L’instabilité politique Les intervenants portent, de façon unanime, un regard extrêmement critique sur le montage institutionnel relatif au Pouvoir exécutif bicéphale. D’un côté, le peuple élit un Président de la République sur la base de promesses électorales. De l’autre côté, la Constitution lui impose de choisir un Premier Ministre au sein du parti majoritaire au Parlement, ou, à défaut, en concertation avec les présidents des deux Chambres. À ce Premier ministre est dévolution la responsabilité de diriger le Gouvernement habilité à conduire la politique de la nation : ce dont il doit rendre compte devant le Parlementaire. C’en est là une source de conflit, avec des conséquences dramatiques pour l’Exécutif. On est là face à une Constitution qui commande l’élection au suffrage universel comme mode de sélection des candidats à la fonction de Président de la République ; et la même Constitution prive l’élu ayant obtenu le vote populaire contre des promesses électorales de tous moyens d’honorer ses promesses, et ceci au profit d’un Premier Ministre qui est nommé. Il en résulte automatiquement un conflit au sommet de l’État, avec en corollaire une instabilité politique qui est l’un des problèmes les plus importants du pays. D’où vient cette instabilité ? Elle procède directement de l’incohérence qu’il y a justement dans la Constitution. Cette incohérence elle-même en crée une autre dans la gestion de l’État lui-même. En fin de compte, la COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 30 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Constitution constitue de cette façon une source d’instabilité permanente. Telle est la préoccupation exprimée par plusieurs acteurs politiques dont la plupart des Premiers ministres pour avoir été au premier du processus d’expérimentation de ce régime. 2.1.5. Le dilemme Les contradictions évoquées plus haut révèlent un phénomène fondamental : une crise de sens de la démocratie qui a inspiré la Constitution de 1987. Cette crise n’est pas toujours saisie par les acteurs eux-mêmes ; et encore moins ses effets sur la difficulté d’application de ladite Constitution. C’est ainsi que, trente ans après l’adoption de cette Constitution, la société haïtienne se trouve face à un dilemme quant au régime politique à adopter. Tout se passe comme si le choix doit se faire entre deux maux infinis : le retour au régime présidentialiste ou le maintien du régime actuel. 2.1.5.1. Le retour au régime présidentialiste Le retour au régime présidentialiste présuppose un président qui concentre toute la puissance exécutive de l’État. Mais, la faiblesse des deux autres pouvoirs constitue un risque de dérive autoritariste et despotique ; situation qui a provoqué la réaction démocratique des années 1970-1980. Au cours de ces trente dernières années, le Pouvoir législatif et le Pouvoir judiciaire n’ont pas su s’autonomiser, c’est-à-dire exercer leurs prérogatives en toute indépendance ; et ce, en dépit des garanties constitutionnelles qu’ils bénéficient. Comme l’a souligné plusieurs intervenants, le problème n’est pas forcément lié au Pouvoir exécutif qui se trouve confronté à ses propres problèmes internes. En témoigne le conflit à répétition entre le Président de la République et le Premier Ministre. C’est l’attitude des acteurs qui sont épinglés. Ces derniers ne paraissent pas faire de l’autonomie et de l’indépendance les principes de leurs expériences professionnelles. Ils semblent davantage préoccupés à se procurer les moyens de satisfaction personnelle qu’à défendre un idéal professionnel constitutionnellement 31 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE défini. C’est ce qui amène nombre d’intervenants à conclure que le problème d’application de la Constitution est avant tout un problème de déficit d’hommes vertueux capables de faire fonctionner les institutions. (Voir le rapport de la rencontre avec les premiers ministres) En effet, dans le présidentialisme américain, l’efficacité de la séparation étanche des pouvoirs réside dans l’attachement à la liberté dont chaque acteur du système devient le défenseur. Tous sont convaincus que cette valeur primordiale ne peut être garantie que par une distribution et une répartition de diverses puissances entre des organes différents qui se contraignent les uns les autres. Associée à un jeu de freins multiples, cet aménagement politique est vécu comme le meilleur moyen d’assurer à la République une assise stable et le règne des libertés. C’est sur la base de cette intime conviction que chaque acteur joue son rôle, lequel s’inscrit dans un montage institutionnel où chaque organe contraint les autres et en même temps qu’il est contraint par tous les autres. 2.1.5.2. Le maintien du régime politique actuel Le maintien du régime politique actuel enferme le pays dans une crise gouvernementale chronique. Avec en conséquence, l’instauration d’une méthode de gouvernement par consensus permanent entre des petits groupes qui, selon intervenants, usurpent la souveraineté populaire. Ce qui ouvre la voie à un jeu de deal politique, conduisant à l’oubli des buts constitutionnels à poursuivre. La plus étrange – pour ne pas dire la plus cocasse – des contradictions est que, souligne un intervenant, « on a le sentiment qu’il n’y a aucune issue possible en dehors des deals politiques, impliquant de donner tous les ministères aux représentants d’un autre pouvoir qui n’a aucune responsabilité vis-à-vis de la population en terme d’intervention directe pour répondre à ses demandes ». C’est le Président qui est mandaté par le peuple pour apporter ces réponses. Et c’est bien là toute l’ironie de l’histoire : il s’agit en réalité d’un Président COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 32 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. affaibli, qui n’est même pas en mesure de choisir en toute responsabilité et en toute autonomie celles et ceux qui sont appelés à l’appuyer dans l’exécution de ses tâches. L’efficacité d’un tel régime dépend, chez les acteurs du système politique, d’une combinaison du sens de l’honneur et du sens de la vertu. La dimension monarchique du régime convoque le modèle faisant du dévouement aux affaires publiques un devoir, un honneur ; valeurs cultivées dans l’Ancien régime par la noblesse de robe au sein de laquelle étaient recrutés les grands commis de l’État monarchique. La dimension républicaine présuppose le modèle qui fait de la soumission à la loi une vertu : un courage qui permet de subordonner ses intérêts particuliers à l’intérêt général, pratiquer la solidarité et la justice. Montesquieu montre comment chez les membres de l’aristocratie antique, le sens de l’honneur amène non seulement à la modération des ambitions personnelles mais encore conduit au bien commun. De même, il fait remarquer que c’est la vertu qui prédispose tant à la reconnaissance d’autrui comme sujet égal, qu’au respect de ses droits, favorisant la paix et la tranquillité publiques. Ce sont ces valeurs qui structurent la rationalisation de l’État moderne à travers l’organisation bureaucratique. 2.1.6. Options d’amendement Forts de ces analyses, les intervenants ont esquissé des pistes de solutions. Une infime minorité opte pour le statu quo, tout en recommandant l’amendement de certains éléments du montage institutionnel relatif à l’Exécutif. Mais la grande majorité fait un plaidoyer pour passer à un régime présidentialiste articulé autour d’un Président et d’un Vice-président. (Voir les aide-mémoires compilés qui seront rendus publics) 2.1.6.1. Le statu quo L’option pour la conservation de la fonction du Premier Ministre recommande une redéfinition de la règle de la désignation de ce dernier défini à l’article 137 : le cas de figure où un parti a la majorité absolue dans chacune des 33 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE deux Chambres ne s’est produite qu’une fois en trente ans. Les partis ayant la majorité dans l’une des deux chambres devraient participer au Gouvernement. 2.1.6.2. Instauration d’un régime présidentialiste, avec un Président et un Vice-président. L’instauration d’un régime présidentialiste, avec un Président et un Viceprésident est une recommandation qui revient constamment dans les discussions. Néanmoins, il est recommandé de bien définir leur rôle respectif. Il faudrait alors établir des provisions constitutionnelles et légales allant du dépôt de candidature à ce poste, du déroulement de sa campagne conjointement avec le candidat à la Présidence pour aboutir à ses élections et à la durée de son mandat. Cependant, dans un tel cas, ce Vice-président remplace le Chef de l’État, en situation de vacance provisoire ou pour le temps restant à pourvoir. Il convient de noter l’insistance concernant le fait de rendre le Président responsable de sa gestion devant la loi. 2.2. Des partis politiques dysfonctionnels 2.2.1. Rôle central des partis politiques La Constitution de 1987 a fait le choix de la démocratie comme régime politique. Dans ce cadre, les partis politiques prennent une importance capitale. D’autant plus que le chef du gouvernement est censé être choisi au sein du parti majoritaire au Parlement. Cela dit, les partis politiques sont censés porter un programme politique correspondant aux attentes de leurs électeurs. Ils doivent se donner les moyens de concrétiser un tel programme, en se dotant des ressources adéquates. 2.2.2. Défaillance des partis politiques Le constat est unanime : les partis politiques sont dysfonctionnels. Les carences en ressources humaines, matérielles et financières constituent un obstacle majeur à leur développement. C’est ainsi qu’on se trouve face à une COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 34 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. multitude de micro-partis qui, à chaque élection, se fusionnent dans des plateformes qui se défont systématiquement avec la fin des élections. Il faut noter la tendance des élus à fonctionner en dehors des orientations de leur parti d’affiliation. Ce qui produit un impact très négatif sur le fonctionnement de notre système politique. 2.2.3. Options d’amendement Les intervenants sont unanimes à reconnaître l’importance des partis politiques. Ils préconisent globalement leur renforcement par des moyens constitutionnels. Par ailleurs, ils attirent l’attention sur la nécessité de rechercher une bonne formule permettant d’empêcher la prolifération des partis politiques. 2.3. Le Pouvoir législatif Dans leur grande majorité, les intervenants insistent sur le pouvoir exorbitant du Parlement. Cela se caractérise par des moyens de contrôle constitutionnels dont dispose ce Pouvoir sur l’Exécutif sans n’être nullement inquiété par celui-ci, le droit de dissolution du Parlement étant inexistant. 2.3.1. Un pouvoir très étendu La Chambre des députés exerce conjointement avec le Sénat de la République le pouvoir législatif et contrôle l’action du Gouvernement. Ce contrôle s’opère a priori et a postériori. Le contrôle a priori est double. Le premier s’inscrit dans le cadre de l’article 158 de la Constitution relatif au vote de confiance de la Déclaration de politique générale du Premier Ministre. Le second concerne l’examen du projet de Loi budgétaire, conformément à l’article 111.2. Le but de ce type de contrôle est de chercher à savoir si les recettes prévues sont à même de financer les activités programmées sur l’exercice. Le gouvernement est interrogé sur les possibilités de recouvrement desdites recettes, la justification des prévisions. 35 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE Le contrôle a posteriori consiste à s’assurer que les actes du gouvernement sont conformes à la fois aux objectifs énoncés dans la Déclaration de politique générale du Premier Ministre, à la loi budgétaires et à d’autres procédures administratives comptables et financières. L’un des moyens de ce second type de contrôle est défini par l’article 98.3 de la Constitution qui dispose que l’Assemblée Nationale se réunit au début de chaque session pour recevoir le bilan des activités du gouvernement. Disposition qui est reprise dans le décret du 17 mai 2005 portant Organisation de l’Administration Centrale de l’État qui stipule en son article 25 : « Le Premier Ministre adresse au Parlement, à l’ouverture de chaque session législative, le bilan des activités du gouvernement. » Par ailleurs, il convient de noter d’autres instruments et procédés de contrôle des activités du gouvernement mis à la disposition du Parlement par la Constitution. Le principal est le contrôle « information », prenant des formes telles que : interpellations (article 161), résolutions (article 102), commissions d’enquête (article 118). Le Parlement est aussi un acteur de premier plan de l’action gouvernementale. Il en assure la régularité, s’assure que toutes les formalités nécessaires à son efficacité sont respectées, prévient les conflits opérationnels qui augmentent les frictions dans le travail gouvernemental. Une majorité des intervenants voit dans ces prérogatives l’élément d’une « trop grande implication du Pouvoir Législatif dans la construction de l’Étatnation. Ce qui laisse, d’après lui, une marge de manœuvre très mince à l’Exécutif et annihile en tout ou en partie les actions du Judiciaire ». 2.3.2. Absence de mécanismes de contrôle Le constat fondamental est que le Parlement, tel que conçu par la Constitution, échappe à un principe fondamental de la théorie générale de la séparation des pouvoirs de Montesquieu exposée dans L’esprit des lois. Il s’agit du contrôle COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 36 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. réciproque des pouvoirs : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». L’inexistence de mécanismes de contrôle réciproque du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif constitue une anomalie. En effet, le sentiment général est que la Constitution crée un déséquilibre entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif au profit de celui-ci. Cette situation conduit à une impasse institutionnelle. Si bien qu’il n’y a, pense-ton, aucune issue possible en dehors des deals politiques. Ces transactions impliquent d’accorder des ministères, y compris la direction des organismes autonomes, sur un jeu de forces politiques, à des représentants d’un autre Pouvoir qui n’a aucune responsabilité vis-à-vis de la population en terme d’intervention directe pour répondre à ses demandes. 2.3.3. Options d’amendement De l’avis général, il est nécessaire de mettre des garde-fous pour le Parlement. Cela concerne, notamment : 1. Le rééquilibrage du rapport Exécutif-Parlement ; 2. Le délai pour voter les textes inscrit dans l’agenda législatif ; 3. La règle de quorum ; 4. Les mécanismes de résolution de conflit Exécutif-Législatif. 2.4. Le Pouvoir judiciaire Comme les pouvoirs exécutif et législatif, le Pouvoir judiciaire est dépositaire de la souveraineté nationale. Ainsi que le dispose l’article 59 de la Constitution : « Les citoyens délèguent l’exercice de la souveraineté nationale à trois (3) pouvoirs : a) le pouvoir législatif ; b) le pouvoir exécutif ; c) le pouvoir judiciaire. Le principe de séparation des trois (3) pouvoirs est consacré par la constitution ». Dans le même ordre d’idée, l’article 59-1 précise que « L’ensemble de ces trois (3) pouvoirs constitue le fondement essentiel de l’organisation de l’Etat qui est civil ». Et « Chaque pouvoir est indépendant des deux (2) autres dans ses attributions qu’il exerce séparément » (article 60). 37 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE 2.4.1. Une indépendance hypothéquée Pour la grande majorité des intervenants, notamment ceux appartenant au monde judiciaire, la Constitution comporte une contradiction qui hypothèque l’indépendance du Pouvoir judiciaire. Cette contradiction est énoncée dans l’article 175 relatif aux modalités de la nomination de ces magistrats : Les juges de la Cour de Cassation sont nommés par le Président de la République sur une liste de trois (3) personnes par siège soumise par le Sénat. Ceux des cours d’appel et des Tribunaux de Première Instance le sont sur une liste soumise par l’Assemblée départementale concernée ; les juges de paix sur une liste préparée par les Assemblées communales. Le cas des commissaires du Gouvernement est encore plus problématique, puisqu’ils ne bénéficient d’aucune protection institutionnelle. Ils sont placés sous l’autorité directe de l’Exécutif. Outre la question de la nomination des magistrats, un autre problème est évoqué comme une source de perte d’indépendance du Pouvoir judiciaire : l’insuffisance des moyens matériels et financiers. 2.4.2. Les dysfonctionnements L’article 176 limite théoriquement les choix des politiques dans les nominations des magistrats en stipulant que : « La Loi règle les conditions exigibles pour être juge à tous les degrés. Une École de la Magistrature est créée ». La Constitution consacre pour ainsi dire l’idée de la définition d’un statut pour les magistrats et l’exigence d’une formation spécialisée pour l’accès aux offices de judicature. Par ailleurs, l’article 177 de la Constitution stipule que : « Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’Appel et des tribunaux de première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 38 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée. » Cette disposition n’est qu’une application d’un principe général constitutif de l’indépendance judiciaire : l’inamovibilité. Dans ce même ordre d’idée, elle assure aux magistrats des garanties disciplinaires. Le Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) exerce le pouvoir disciplinaire parmi les magistrats. Pour la grande majorité des membres du corps judiciaire, ces garanties sont supplantées par des mauvaises pratiques. Parce que la Constitution n’est pas respectée à la lettre. 2.4.3. Options d’amendement Les options d’amendement portent en priorité sur : • La règle de nomination des juges. Revoir en profondeur ou supprimer l’Article 175 prévoyant la nomination par des Assemblées d’élus, donc de novices ou même d’étrangers en matière de fonctionnement de la Justice, de tous les Juges des Tribunaux et Cours, à l’exception de ceux de la Cour de Cassation. • Le statut des commissaires du Gouvernement. Attribuer la dénomination de Procureur aux Officiers du Parquet libérant ainsi les Commissaires du Gouvernement dont l’appellation en elle-même suscite une sorte de mainmise exclusive de l’Exécutif. • La garantie d’un montant minimal dans le budget de la République. 39 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE III. GOUVERNANCE ADMINISTRATIVE 3.1. La décentralisation La Constitution fait de la décentralisation le vecteur d’instauration d’« un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale ». C’est, outre la consécration des libertés et des droits fondamentaux, le principal acquis de la Constitution de 1987. 3.1.1. Un acquis de la Constitution L’ensemble des intervenants reconnaît la pertinence du principe de décentralisation : la plupart des problèmes quotidiens et essentiels qui touchent la vie des territoires, qu’il s’agisse des quartiers, des agglomérations, dépendent de décisions et de politiques qui peuvent être prises au niveau des collectivités territoriales que constituent la section communale, la commune et le département (article 61). La grande majorité des intervenants considère la décentralisation territoriale comme une nécessité impérieuse. D’autant plus que l’administration centrale se révèle incapable de mettre en œuvre des politiques publiques susceptibles de répondre aux besoins des populations locales. Cela va de l’urbanisme et habitat (permis de construire, infrastructures, zonage, etc.) à la gestion du cadastre communal, en passant par la prévention et gestion des risques et désastres ainsi que la fourniture de services de base (éducation, santé, énergie, etc.). La décentralisation constitue, selon les intervenants, le mode de gestion le mieux indiqué pour les entités locales au regard des objectifs de la stratégie de développement national définie dans le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH), adopté en 2012 par le Gouvernement d’Haïti. Le propre de ce Plan est justement d’ériger le territoire en clé de lecture des différents modes COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 40 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. d’intervention : économique, sociale et institutionnelle. Le PSDH fait d’une part, « le choix de pôles régionaux de développement, et donc le choix des régions, pour structurer et équilibrer le développement socioéconomique et l’aménagement du territoire national » ; d’autre part, « le choix des Chefs-lieux d’Arrondissement comme pôles locaux de développement, et donc le choix des Arrondissements pour structurer le développement et l’aménagement local du territoire » (PSDH : 2012, p. 11). Mais, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, les résultats ne sont pas au rendez-vous. 3.1.2. Bilan 3.1.2.1. Le déficit de cultures administratives et politiques appropriées Il apparaît dans les débats un déficit de cultures administratives et politiques appropriées à la décentralisation. Ce montage institutionnel ne se réduit pas à de simples mécanismes de transferts de pouvoir de l’administration centrale vers les collectivités territoriales. C’est une façon d’aborder les problèmes de gestion en termes de « partage des compétences » entre les différents niveaux de territoires. Derrière cette démarche, il y a le présupposé selon lequel il existe pour chaque type de politique un « territoire pertinent » pour la définir et la mettre en œuvre. C’est aussi une façon de penser en termes de partenariat et de responsabilité partagée des différents niveaux pour la conduite d’une politique. Ce changement radical implique des changements dans les cultures administratives et politiques, dans les procédures administratives et même dans leurs fondements conceptuels. 3.1.2.2. La prégnance des vieux réflexes L’apprentissage institutionnel est perturbé en raison de la prégnance des vieux réflexes. En effet, dans son apprentissage, la décentralisation comprend des aspects pratiques (politique, économique, juridique ou administratif et managérial). Ceux-ci renferment une certaine dynamique de changement capable de transformer la société tout entière. Pour leur réalisation, les 41 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE objectifs requièrent la présence des acteurs opérationnels, tant au niveau central que local, ayant « la culture de décentralisation » et pouvant agir en véritables agents de développement. À ce propos, les intervenants ont fait remarquer que malgré le partage des compétences établi par les textes constitutionnels et légaux dans le domaine de la conduite de l’action publique à tous les niveaux, les pratiques vont plutôt dans le sens de la mise sous tutelle des élus locaux par le pouvoir central par le biais du Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales. Les fonds collectés pour ces entités sont détournés vers d’autres choses. Plus précisément, les ressources pour ces entités sont captées par l’administration centrale qui en redistribue une partie aux parlementaires en fonction de leur influence politique. Ce qui a empêché, empêche et empêchera encore pendant longtemps les entités décentralisées de prendre un élan nouveau pour leur auto-développement. Dès lors, l’administration locale, étouffée dans son rôle d’initiateur des projets autofinancés et d’investisseur public, ne peut se contenter que de son rôle d’animateur et d’encadreur, rôle qu’elle peut jouer correctement. La mobilisation des masses laborieuses ou l’investissement-travail s’avère une nécessité impérieuse pour enrayer la pauvreté qui sévit dans les entités locales haïtiennes. 3.1.2.3. Les conflits Le manque d’apprentissage s’accompagne du blocage du processus d’institutionnalisation des structures des collectivités territoriales. On en trouve une bonne illustration dans le cas des conflits minant le fonctionnement des cartels de magistrats en charge d’administrer les communes. Ce format de cartel devient même une source de crise. Si bien qu’on en arrive à l’équation suivante : « partout où il y a cartel, il y a division et conflit ». Les maires, les CASEC, les ASEC et les Délégués de ville, chacun se prend pour un superchef. Ainsi, s’éloigne la perspective de la coopération, de la collaboration et du partenariat qui devraient donner une réalité à la décentralisation. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 42 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Pour l’instant, la décentralisation n’est qu’un mot. Les aspirations des populations locales ne sont pas prises en compte. Les collectivités territoriales apparaissent en réalité plutôt comme un problème que comme une solution aux problèmes locaux. 3.2. Gestion de l’espace national 3.2.1. La traditionnelle dichotomie rurale-urbaine En ce qui concerne l’administration de l’espace national, certains intervenants font remarquer que la Constitution s’inscrit dans la traditionnelle dichotomie rurale-urbaine. On en trouve une illustration dans le mode de traitement qui y est fait de la section communale, où cette représentation dichotomique semble aller de soi. Dans les esprits, la section communale est un territoire rural rattaché à une commune qui est l’archétype de l’urbain. Avec tout ce que cela charrie comme préjugés défavorables ou favorables. La principale innovation introduite par la Constitution de 1987 réside dans le fait d’élever la section communale au rang de collectivité territoriale, et ceci au même titre que « la commune et le département ». Le critère discriminant se limite à la grandeur : « La section communale est la plus petite entité territoriale administrative de la République » (article 62). L’espace rural, constituant ce que Gérard Barthélemy appelle Le Pays en dehors, demeure a priori séparé de l’espace urbain. Aucun lien administratif explicite n’est établi entre la section communale et la commune. Ainsi, paraît incompréhensible la disposition de l’article 67 stipulant que : « Le Conseil Municipal est assisté dans sa tâche d’une Assemblée municipale formée notamment d’un représentant de chacune de ses Sections communales ». Selon l’une des entités intervenantes, cette dichotomie « est préjudiciable au développement harmonieux de l’espace urbain et de l’espace rural. De plus, elle est incompatible avec la structure territoriale et le schéma électoral établie par la Constitution ». 43 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE 3.2.2. Le découpage Territorial Une certaine tendance plaide pour la redéfinition de la section communale, à partir d’une image moderne de l’espace national. Il convient de la considérer comme l’unité de base du territoire politico-administratif. Par voie de conséquence, la section communale peut se situer dans un espace urbain aussi bien que dans un espace rural, ou se chevaucher entre les deux. L’intérêt de cette nouvelle approche est de favoriser une meilleure gestion de l’espace national, sur la base d’un découpage ou d’une subdivision par sections communales du territoire : qu’il s’agisse de l’espace urbain, ou de l’espace rural. Sur le plan politique, la nouvelle approche entraînera une « reconfiguration des postes électifs au niveau de la Section Communale et de la Commune ». C’est dans cette configuration que l’article 67 de la Constitution prendrait tout son sens politico-administratif. De l’avis des intervenants, il est indispensable de mettre l’emphase sur cet aspect dans le futur amendement de la Constitution. 3.2.3. Options d’amendement 3.2.3.1. La décentralisation Les options d’amendement sont axées sur : • l’ajout dans la Constitution des dispositifs devant renforcer les mécanismes de transfert de pouvoir de l’administration centrale ver les collectivités territoriales ; • le renforcement des mécanismes de financement des collectivités territoriales. 3.2.3.2. Gestion de l’espace national • Une redéfinition de la section communale dans l’article 62 dans une Constitution. • Une reconfiguration des postes électifs au niveau de la Section Communale et de la Commune COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 44 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 3.3. Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif 3.3.1. Une construction par empilement d’attributions La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est issue de la Chambre des Comptes. Créée en 1823, cette Chambre avait initialement pour mission de vérifier tous les comptes administratifs indiqués par le Président d’Haïti ou par le Secrétaire d’Etat chargé des finances. En 1834, cette institution a vu son champ de compétence s’élargir pour prendre en compte le règlement de tous les comptes relatifs aux opérations de l’administration des finances en recettes et en dépenses. Il faut également noter la tâche d’effectuer un résumé général de la situation des finances de la République à l’attention du Président d’Haïti. En 1870, d’autres attributions s’ajoutent au champ de compétence de la Chambre des Comptes, notamment : celle d’examiner et de liquider les comptes de l’administration générale et de tous les comptables envers le Trésor public. En 1871, une nouvelle tâche lui est confiée. Il s’agit de la surveillance et de la vérification des opérations des douanes de la République. Après la suppression en 1915, la Chambre des Comptes est recréée par la Constitution de novembre 1946, avec de nouvelles attributions qui s’ajoutent aux anciennes. Les principales sont : d’une part, le contrôle du bilan annuel et des opérations de la Banque nationale de la République d´Haïti, de la Société haïtiano-américaine de développement agricole, de la Loterie de l´Etat haïtien ; d’autre part, l´étude de tous projets de contrats soumis par l´Exécutif et devant lier l´Etat haïtien ou relever de son contrôle. En 1957, la Chambre des Comptes est transformée en Cour Supérieure des Comptes. Trois faits méritent d’être soulignés dans la foulée de cette transformation. Le premier est le renforcement du contrôle des dépenses de l´Etat. Le second concerne l’introduction de la fonction de contentieux administratif. Ce qui fait de la nouvelle institution le juge de droit commun en matière de contrats administratifs. L’apparition du dualisme du système juridique haïtien constitue le troisième fait majeur associé à cette transformation : d’un côté, l’ordre juridictionnel administratif coiffé par la 45 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE Cour supérieure des Comptes ; de l’autre côté, l´ordre juridictionnel judiciaire coiffé par la Cour de Cassation. En 1983, la « Cour supérieure des Comptes » devient la « Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif » (CSCCA). Son champ de compétence connaît de nouveau un nouvel élargissement : les litiges mettant en cause l´Etat et Collectivités territoriales, l´administration et les fonctionnaires publics, les services publics et les administrés. La Constitution du 29 mars 1987, élève la CSCCA au rang d’institution indépendante. Son organisation et son fonctionnement actuels sont définis par le décret du 23 novembre 2005. 3.3.2. L’existence de deux institutions distinctes La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif réunit en son sein deux institutions dont la direction est confié à un collège de dix membres appelés conseillers ou juges : 1. la Cour Supérieure des Comptes, chargée de contrôler la gestion financière de l’Etat ; 2. le Contentieux Administratif, chargé de trancher les litiges opposant l’Administration publique à ses employés et aux tiers, lesquelles institutions n’ont en commun que le fait qu’elles relèvent de l’ordre administratif. Or, chacune de ces institutions exerce une fonction hautement spécialisée et hautement technique 3.3.3. L’atrophie des deux institutions La principale conséquence de l’approche dualiste ayant émergé par la force des choses est l’atrophie des deux institutions. Celles-ci sont ainsi rendues incapables de se développer dans le sens d’une plus grande efficience, d’une plus grande efficacité et d’une plus grande performance dans l’accomplissement de leurs missions et attributions constitutionnelles et COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 46 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. légales. À cela s’ajoute une autre anomalie : la cassation de leurs décisions juridictionnelles confiée à la Cour de Cassation qui n’est nullement outillée pour assurer le traitement adéquat de tels recours concernant des affaires relevant du droit public. La procédure pour introduire ces recours euxmêmes demeure légalement indéfinie. 3.3.4. Options d’amendement Il convient de : 1. Créer un ordre de juridictions administratives comprenant une Cour Supérieure des Comptes comme juridiction administrative spéciale ; 2. Séparer le jugement des comptes publics de la distribution de la justice administrative ; 3. Faire relever clairement les décisions des juridictions administratives de premier et de second degré ainsi que celles de la Cour Supérieure des Comptes d’une Cassation administrative. Cela suppose de : 1. Enlever de la mission des nouvelles institutions les avis préalables sur les contrats publics prévus à l’article 200.4 de la Constitution de 1987 ; 2. Confier le contrôle de l’aliénation du patrimoine public à une institution publique autre que la Cour Supérieure des Comptes et les juridictions administratives. 3.4. Conseil Electoral Permanent 3.4.1. Le provisoire : un concept permanent dans un contexte de crise de
confiance Le Conseil Électoral Permanente est une institution indépendance créée par la Constitution de 1987. Le but de cette innovation a été de rompre avec les traditionnelles pratiques d’élections officielles au profit des candidats choisis par les détenteurs du pouvoir exécutif. On trouve la trace de ces inquiétudes archaïques dans le discours résumé par une formule célèbre : 47 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE « des élections libres, honnêtes et démocratiques ». Dans ces conditions, l’indépendance dudit Conseil devient un enjeu majeur. Ce souci transpire dans le mode initial de désignation des membres. Dans la Constitution de 1987, le mode désignation est défini à l’article 192 de la manière suivante : Le Conseil Electoral comprend (9) neuf membres choisis sur une liste de (3) trois noms proposés par chacune des Assemblées départementales : 3 sont choisis par le Pouvoir exécutif; 3 sont choisis par la Cour de Cassation; 3 sont choisis par l’Assemblée Nationale. Les organes sus-cités veillent, autant que possible, à ce que chacun des départements soit représenté. Finalement, selon l’esprit de la Constitution de 1987, la mise en place du Conseil Électoral Permanente dépend de trois conditions. La première est l’existence des Assemblées départementales. La seconde concerne le consensus entre les Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Enfin, la confiance de la classe politique et des secteurs organisés de la société civile dans la procédure est un élément déterminant. Depuis 1987, les diverses tentatives d’appliquer la Constitution dans ce domaine butte sur ces problèmes d’ordre à la fois institutionnel et politique qui demeurent insolubles. L’amendement de 2011 tente de contourner ces problèmes. Il simplifie le processus de désignation des membres du Conseil Electoral Permanent, en ne faisant intervenir dans ce processus que les représentants des trois pouvoirs : Exécutif, Législatif et Judiciaire. L’article 192 se lit alors comme suit : Le Conseil Electoral comprend (9) neuf Membres choisis comme suit : Trois (3) par le Pouvoir Exécutif ; Trois (3) par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ; Trois (3) par l’Assemblée Nationale avec une majorité de deux tiers (2/3) de chacune des deux chambres. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 48 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Les dernières tentatives d’application de la Constitution en la matière échouent à la même impasse d’une crise de confiance politique. Le Conseil Électoral Provisoire devient alors un concept permanent de référence dans un contexte de crise de confiance politique général. La plus étrange – pour ne pas dire la plus cocasse – la Constitution de 1987 n’avait prévu qu’un Conseil Electoral Provisoire qui devait organiser les premières élections (voir : article 289). Et « La mission de ce Conseil Electoral Provisoire prend fin dès l’entrée en fonction du Président élu » (article 289.3). Ainsi, se pose, outre la question de la stabilité de cette institution, le problème de sa légalité. 3.4.2. La confusion des fonctions administrative et juridictionnelle Le Conseil Électoral Permanente s’est vu confier deux fonctions qui, dans la logique républicaine, sont d’ordinaire repartis entre des organes différents. La première fonction est d’ordre administratif. Elle consiste à organiser et à contrôler « en toute indépendance, toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin » (article 191). Cela implique, outre la garantie du respect de la législation électorale sur l’ensemble du territoire national, l’intervention dans la mobilisation et la coordination des activités liées à l’information électorale et au civisme en rapport avec la sensibilisation de la population. La seconde, dite juridictionnelle, concerne les activités de jugement relatif à « toutes les contestations soulevées à l’occasion soit des élections, soit de l’application ou de la violation de la loi électorale » (article 197). Cette fonction s’exerce à travers des structures contentieuses, telles que : le BCEC (Bureau du Contentieux électoral communal) ; le BCED (Bureau du Contentieux électoral départemental) ; le BCEN (Bureau du Contentieux électoral national) prévues dans la Loi électorale. La confusion de ces deux fonctions est un facteur de malaise. Le CEP se trouve ici dans une situation où il est à la fois juge et partie. 49 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE 3.4.3. Options d’amendement 3.4.3.1. Changement de nom Une proposition concerne le changement de nom du Conseil Électoral Permanent (CEP) en Conseil Electoral National (CEN). Dans ce cas, l’article 191, se lirait ainsi : « le Conseil Electoral National (CEN) est une institution permanente, indépendante jouissant de l’autonomie administrative et financière. II est charge d’organiser et de contrôler toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin » 3.4.3.2. Séparation des fonctions administrative et juridictionnelle • L’organe administratif connait de toutes les questions administratives ct financières liées aux opérations électorales ; • L’organe juridictionnel traite, de façon indépendante, à travers les différents tribunaux électoraux toutes les contestations soulevées soit à l’occasion des élections, soit de l’application ou de la violation de la loi électorale. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 50 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. IV. QUESTIONS CRITIQUES 4.1. Amendement 4.1.1. Les nouveaux défis Le principal constat, selon la grande majorité des intervenants, est le désarrimage de la Constitution avec les grands défis liés au développement politique, économique et social actuel. Pour ces intervenants, la Constitution de 1987 a parfaitement a rempli le rôle qui lui a été dévolu dans le contexte post-dictature : instituer un régime de séparation de pouvoir ; créer un cadre du jeu démocratique ; consacrer les libertés et les droits fondamentaux. Mais, elle accuse des faiblesses en matière de développement économique et social ainsi qu’à la protection de l’environnement : le développement économique et social devient une préoccupation majeure pour la population, au cours de ces dernières années. 4.1.2. La limitation du débat national L’interdiction du référendum empêche l’établissement d’un grand débat national que suppose la démarche d’amendement. Ce qui entrave l’instauration de véritables mécanismes de confrontations qui auraient pu permettre de cerner les conséquences réelles que tel ou tel dispositif aura sur le devenir du citoyen haïtien, à moyen ou à long terme. La définition de l’orientation de la nouvelle Constitution doit s’appuyer sur un débat de société. 4.1.3. Le verrouillage de la procédure d’amendement Un certain nombre de participants ont insisté sur le verrouillage de la procédure d’amendement. Le risque, selon eux est, une situation de sclérose : la Constitution est rendue incapable d’évoluer avec le temps moderne caractérisé par des changements rapides et constants. 51 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE En l’état actuel des choses, s’il y a un dispositif de la Constitution qui pose problème, il faut compter entre 8 à 10 ans pour y remédier. Cette situation est liée à des verrous installés dans la Constitution. 4.1.4. Options d’amendement • Alléger et simplifier la procédure d’amendement. Dans un contexte de changements rapides et permanents, alléger le processus pour être en mesure d’y faire face. Il faut avoir une grande souplesse dans les mécanismes d’amendement afin de pouvoir prendre en considération, en temps réels, les caractéristiques politiques, économiques, sociales et culturelles, propres à chaque moment de ces changements. 4.2. Référendum 4.2.1. L’exclusion du peuple L’interdiction du référendum constitue, de l’avis de plus d’un, une restriction en matière de consultation de la population en ce qui concerne les grandes décisions politiques importantes à prendre dans le pays. Tout se passe comme si le peuple est mis hors jeu, une fois les élections terminées. 4.2.2. Une source de corruption politique. Selon certains, une telle exclusion encourage une méthode de gouvernement axée sur la recherche de consensus permanent entre des petits groupes qui ne représentent pas forcément les intérêts de la population. Il s’agit là d’une faille dans la Constitution. En conséquence, c’est l’instauration d’une situation où on est dans une logique de deal politique en permanence. Parce qu’il n’y a pas de mécanismes de consultation populaire. C’est donc dans le consensus et dans le deal que se passe la gestion du pays. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 52 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 4.2.3. Options d’amendement 4.2.3.1. Restaurer le mécanisme de référendum. Cette restriction est un problème qu’il faut changer dans le prochain amendement. Si le mécanisme de référendum n’est pas rétabli cette fois-ci, on aura à en reparler. Il faut maintenir le lien avec la population dans les processus décisionnels importants. 4.3. Certificat de décharge 4.3.1. La manipulabilité des procédures à des fins politiciennes. La Constitution crée des instruments de contrôle et de régulation tellement mal pensés qu’ils sont sujets à tous types de manipulation et de combine par des gens malintentionnés du système. Tous les acteurs ayant été en charge de responsabilité ministérielle et de nombreux autres œuvrant dans des institutions publiques dénoncent ces procédures porteuses de criantes injustices. C’est l’un des aspects des vrais problèmes de la Constitution. Ce qui fait que, finalement, quelqu’un qui se respecte ne rentre pas dans ce jeu de Premier Ministre. Souvent, des personnalités de grande compétence cultivant un sens profond de l’État refusent des postes de ministre ou de haute responsabilité gouvernementale. 4.3.2. La politisation des procédures Une fois les rapports transmis au Parlement, certains peuvent avoir des problèmes purement personnels avec les uns ou les autres et s’opposent à l’avancement de leur dossier. C’est aussi simple que cela. Ce n’est pas normal: quelqu’un qui a donné sa vie pour servir le pays, et le voilà entièrement soumis à l’arbitraire d’individus qui agissent en sous-main de ceux qui veulent régler leurs comptes personnels avec lui. Il s’agit là d’une injustice qui mérite d’être corrigée. 53 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE 4.3.3. La fragilisation des institutions La fragilisation des institutions relève du fait de l’absence de mécanismes constitutionnels engageant la responsabilité des agents publics en termes de respect des libertés et des droits fondamentaux. La fragilisation se traduit par la latitude qu’a n’importe quel agent public de se servir, en toute impunité, de sa position, à un niveau ou à un autre, pour régler ses comptes personnels avec tel usager du service public. C’est notamment le cas, en ce qui concerne les procédures d’attribution de décharge de la gestion ministérielle. 4.3.4. Options d’amendement Il est proposé de confier à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) les compétences exclusives en matière d’attribution de certificat de décharge, pour toutes les catégories d’ordonnateurs publics. Il s’agit au fond d’harmonisation la législation haïtienne avec la législation internationale en matière de lutte contre la corruption qui trouve son fondement dans la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC) et la Convention Interaméricaine Contre la Corruption (CICC) ratifiées par Haïti. L’article 6.2 de la CNUCC opte pour une approche totalement technique et impartiale en dehors de toute sphère politique et politicienne. Dans cette logique, la CSCCA est l’institution la mieux indiquée pour « donner décharge à tous les ordonnateurs et comptables de deniers publics, à tout agent public ou individu ayant bénéficié d’une subvention du trésor public. Il y a donc lieu de supprimer l’article 233 de la constitution accordant au Parlement la prérogative de donner décharge aux Ministres et Premiers Ministres et d’ajouter expressément ce rôle étendu de la Cour en matière de décharge au niveau de l’article 200 ». COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 54 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 4.4. Constitution 4.4.1. L’usage abusif du dialogue politique À quoi bon avoir une Constitution si les pratiques d’arrangement doivent constamment servir de règle du jeu politique, avec toutes les conséquences sur la stabilité des institutions que ces stratégies comportent. Mais, c’est une donnée constante, qui se répète dans notre vie politique. 4.4.2. Le déphasage de la mentalité avec l’esprit constitutionnel Des intervenants font remarquer que certains pays n’ont pas de Constitution. Ce qui ne les empêche pas de fonctionner et d’atteindre un haut degré d’efficience, d’efficacité et de performance collective à la base de leur progrès. De ce point de vue, le cas le plus emblématique est celui de l’Angleterre. Par voie de conséquence, dans le cas d’Haïti marqué par des crises constitutionnelles chroniques, ils concluent au déphasage de la mentalité avec l’esprit constitutionnel : ceci suppose l’engagement de tous les citoyens à agir collectivement dans le sens de l’unité, de la souveraineté, de l’indépendance et du progrès national. Chez chaque citoyen, cette action collective implique elle-même une certaine prédisposition à l’écoute, au dialogue, à la négociation devant aboutir à l’intercompréhension et, plus précisément, au compromis sur un modus vivendi et sur un modus operandi avec les autres. Dans le cas d’Haïti, la prédisposition individuelle serait toute autre. Elle serait déterminée par une mentalité forgée par des siècles d’expériences de division et d’opposition qui dressent continuellement les membres de cette société les uns contre les autres au cours des générations. Avec en corollaire, la formation d’une certaine conception du rapport aux autres axée davantage sur la défiance et l’affrontement, que sur la confiance et l’entente. Une telle conception alimenterait un état d’esprit clanique incompatible avec l’esprit constitutionnel. Autrement dit, cet état d’esprit conduirait les individus à s’unir en petits groupes, revêtant les aspects de clan, qui se dressent les uns contre les autres. 55 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE Les tenants de cette approche insistent sur le fait que le clan n’est pas intéressé à la question de bien commun qu’incarne l’État et, a fortiori, à la Constitution qui organise cette instance. Il en est de même de la démocratie qui n’a aucun sens pour lui. Le clan ne s’intéresse au fond qu’à ce qui offre satisfaction à ses intérêts de clan. Ces questions ne devraient-elles pas être abordées, peut-être au niveau de l’université, sur le plan sociologique et historique, de telle sorte qu’on puisse élaborer une Constitution qui est en fait un contrat social? 4.4.3. Options d’amendement 4.4.3.1. Dépouiller la constitution des détails Il faut un texte simplifié. La simplification implique de faire une large part à l’énoncé des valeurs et des principes qui doivent régir, notamment : • d’une part, le fonctionnement du régime politique, plus précisément le mode de sélection des titulaires des fonctions politiques, leurs comportements attendus dans l’exercice de leurs fonctions, la manière d’exercer le pouvoir ; • d’autre part, le modèle de gouvernance administrative, assurant l’arrimage entre les stratégies de développement national et les priorités au niveau tant sectoriel que local ; • enfin, les relations entre gouvernants et gouvernés et le rôle et la responsabilité des gouvernés eux-mêmes (c’est-à-dire les droits et devoirs du citoyen). En ce sens, la Constitution ne doit pas avoir pour objet de régir l’ensemble des actes individuels et collectifs, mais de créer un cadre d’action global en définissant et en répartissant l’autorité entre les divers organes politico-administratifs, et ce en établissant pour chacun de ces organes des contraintes qui l’empêchent d’outrepasser ses compétences. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 56 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 4.4.3.2. Renforcement du domaine de la loi et du règlement Il faut laisser à la loi et au règlement le soin de préciser les détails ayant trait au contrôle et à la régulation des activités de la vie quotidienne des gouvernants et des gouvernés. Il s’agit de faire en sorte que le Parlement puisse décider à travers des lois sur des aspects traités dans la Constitution, que le pouvoir exécutif ait la capacité par des règlements pour organiser des domaines activités en matière de développement économique et social. 4.4.3.3. Alléger et simplifier les mécanismes de vote de la loi. Dans beaucoup de cas, les lois ne sont pas votées, à cause de la complexité des procédures. Alors qu’on est parfois dans des situations d’urgence. Même si ces situations sont prévues par la Constitution. Mais la complexité des procédures nous fait perdre un temps considérable avant de voter une loi. Cette situation procède parfois de la tentation d’utiliser ce pouvoir comme arme de chantage sinon de dissuasion. 4.4.3.4. Arrimer le régime politique à la tradition On se demande est-ce que la difficulté d’application de la Constitution n’est pas liée à notre imaginaire politique, tel que forgé par notre tradition, qui nie l’idée d’un Premier Ministre responsable devant le Parlement. Si oui, on pourrait alors laisser tomber la fonction du Premier ministre et opter pour une fonction de Vice-président. Quoi qu’il en soit il faut éviter deux excès : d’une part, la dilution du Pouvoir ; d’autre part, la concentration du Pouvoir 4.5. Élections et mandat des élus 4.5.1. Le non respect des échéances constitutionnelles On se retrouve dans une situation où on est à s’interroger en permanence sur la fin du mandat de certains élus, il y a toujours des discussions à ce propos. À chaque législature, il y a une incertitude sur la fin du mandat. À 57 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE cause des conflits au sein des pouvoirs? Des failles constitutionnelles? Défaut de planification? 4.5.2. Options d’amendement 4.5.2.1. Simplifier la temporalité des élections Il est nécessaire de procéder à la simplification de la temporalité des élections et à leur articulation avec les contraintes humaines, matérielles et financières propres à l’État haïtien. Il s’agit alors de repenser le système électoral en accordant une plus grande attention, entre autres, aux échecs répétés tant au plan des attributions et de la structuration du CEP qu’à celui des normes constitutionnelles de sélection des postulants aux postes électifs. 4.6. La question de la nationalité 4.6.1. La confusion possible de la qualité d’Haïtien Du vote de la Constitution de 1987 aux amendements de 2011 la question de la nationalité haïtienne a évolué de l’interdiction de la double nationalité à la reconnaissance formelle de la pluri nationalité en Haïti. La Constitution amendée définit la nationalité haïtienne d’origine à l’article 11 et renvoie à la loi d’établir les conditions d’acquisition de la nationalité haïtienne pour un étranger (article 11-1). Mais à l’article 12, en énonçant que des privilèges sont réservés aux Haïtiens d’origine et en précisant qu’aucun Haïtien ne peut faire valoir sa nationalité étrangère sur le territoire, elle indique l’existence d’au moins deux catégories d’Haïtiens à la naissance : ceux qui ne possèdent aucune autre nationalité et les autres. Les droits politiques de ces derniers, de nationalité d’origine ou acquise, se trouvent réduits à leur plus simple expression comme établi dans les articles définissant les conditions d’accession à des postes électifs nationaux, à des fonctions de ministre ou de membres de certaines institutions publiques. (Voir l’article 91). 4.6.2. Importance et rôle de la diaspora dans le développement du pays Sa contribution au développement du pays et à son avenir est généralement reconnue. Les associations d’Haïtiens vivant à l’extérieur, en Amérique du COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 58 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Nord, en République dominicaine, dans la Caraïbe et en Europe ne cessent de revendiquer leurs droits politiques pleins et entiers. 4.6.3. Options d’amendement • Rétablissement des droits politiques pour tous les Haïtiens sans distinction ; • Droit de vote aux élections haïtiennes ; • Droit de représentation parlementaire pour les Haïtiens vivant à l’étranger. 4.7. La mer territoriale et la zone économique exclusive 4.7.1. Entorses aux dispositions légales internationales En son article 8.b, la Constitution dispose que « Le territoire de la République d’Haïti comprend : […] b) La mer territoriale et la zone économique exclusive ». De l’avis des spécialistes en défense en sécurité, cette formulation est malheureuse. Elle implique un droit de propriété revendiqué par l’État d’Haïti sur la zone économique exclusive. En cela, elle recèle une violation fragrante : celle des « dispositions du droit coutumier de la mer, ainsi que celles des articles 55 à 75 de la Convention de Montego bay de 1982 régissant cet espace maritime ». 4.7.2. Les limites des droits souverains de l’État côtier D’après le droit de la mer, une zone économique exclusive (ZEE) ne fait légalement partie des frontières maritimes d’aucun État riverain. C’est une portion de la haute mer couvrant jusqu’à 200 milles marins, attenante à l’espace de 12 milles marins de la mer territoriale d’un État. Néanmoins, le droit de la mer reconnaît à celui-ci certains droits souverains. Ces droits sont limités aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins 59 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que : la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents. À ces droits s’en ajoutent d’autres concernant la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages, la recherche scientifique marine, la protection et la préservation du milieu marin. Somme toute, la souveraineté de l’État d’Haïti sur la ZEE se limite à la prévention ou à la répression des activités d’exploration et d’exploitation des ressources de la ZEE par des navires battant pavillon étranger. Autrement dit, « les forces de sécurité haïtiennes ne peuvent ni y interdire l’accès aux navires étrangers, ni y effectuer des opérations de poursuite, d’abordage ou d’arraisonnage contre ces navires, hormis les cas de piraterie ou de trafic d’êtres humains. ». 4.7.3. Options d’amendement • La modification de l’article 8.b, afin de supprimer la ZEE comme faisant partie du territoire maritime national. 4.8. Lutte Contre la Corruption 4.8.1. Engagements nationaux et internationaux d’Haïti La lutte d’Haïti contre la corruption s’inscrit dans le cadre de ses engagements nationaux et internationaux. En effet, cette lutte est devenue un enjeu transnational. Elle implique la mobilisation et la synergie de l’ensemble des États. Cela est reflété dans l’avant-propos de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC) du Secrétaire général, Monsieur Kofi A. Annan. La corruption est un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape la démocratie et l’état de droit, entraîne des violations des droits de l’homme, fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de la vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d’autres phénomènes qui menacent l’humanité.
COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 60 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. L’engagement d’Haïti dans cette lutte se traduit par la ratification de deux (2) conventions internationales sur la corruption. La première, est la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC). La seconde concerne la Convention Interaméricaine Contre la Corruption (CICC). Ces deux conventions forment le contour du droit international de la corruption. Ainsi, sont prescrits des principes, des comportements et des actions de nature à renforcer l’efficacité de la lutte anti-corruption au sein des Etats parties. 4.8.2. Les irritants Des intervenants font remarquer que la Constitution comporte déjà des dispositions favorables à la lutte contre la corruption. Cependant, ces dispositions sont, selon eux, lacunaires. Elles méritent donc d’être renforcées au regard des deux conventions susmentionnées. En premier lieu, la prévention de la corruption est entravée par les lacunes de la Constitution. À ce propos, il convient de noter l’article 238 concernant la Déclaration de Patrimoine de certains agents publics identifiés par la loi. Contrairement aux dispositions de l’article III, du paragraphe 4 de la CICC, ledit article n’oblige nullement l’instance concernée, en l’occurrence ULCC, à publier ces déclarations. En outre, une fois effectuée, la Déclaration n’a, par la suite, aucun effet administratif. Puisque, l’agent concerné n’est, en aucun cas, tenu d’en produire la preuve comme une condition obligatoire, notamment pour : briguer un poste électif quelconque (suffrage direct ou indirect) ou un nouveau mandat ou fonction judiciaire ; être membre du gouvernement ; prétendre (re)devenir un haut fonctionnaire de l’État ; siéger à un titre ou à un autre au Conseil des Ministres ou dans une institution indépendante. Les mêmes lacunes sont constatées en ce qui concerne le recrutement des fonctionnaires qui, aux termes de l’article 236.2 de la Constitution, doit se faire par concours. Il s’agit au fond de prévenir le népotisme. Mais, s’agissant des autres fonctionnaires et agents publics – tels que ceux des collectivités territoriales et des institutions indépendantes – c’est le mutisme total.
61 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE Dans le même ordre d’idée, le cas du financement des Partis Politiques est souligné par les intervenants. Certes, la Constitution prévoit, en son article 31.1, des « avantages et privilèges » au profit des partis et groupements politiques. Mais, elle est totalement muette en ce qui concerne le principe même dudit financement et de son encadrement juridique. Ce qui est une insuffisance relativement à l’impératif de transparence énoncé dans l’article 7.d.3 de la CNUCC. En second lieu, les mécanismes de reddition de compte, tels qu’instaurés par l’article 233 de la Constitution, sont conçus en contradiction avec l’esprit de la CNUCC en ce qui concerne plus particulièrement la décharge. Le propre de cet esprit est d’opter pour une approche totalement technique et impartiale, c’est-à-dire en dehors de tout calcul politicien (voir l’article 6.2). Or, l’article 233 fait du Parlement l’instance compétente pour donner décharge aux Ministres et Premiers Ministres. Avec en conséquence, une politicisation abusive de cette procédure dans la pratique. Enfin, la poursuite et le jugement des actes de corruption impliquant certaines catégories d’agents publics buttent sur des obstacles procéduraux instaurés par l’article 185 de la Constitution. Les principaux sont : l’immunité et les privilèges de juridiction. Les agents bénéficiaires ne peuvent être poursuivis que pour certains crimes, et ceci uniquement devant la Haute cours de justice. Et cette instance « ne peut prononcer d’autre peine que la destitution, la déchéance et la privation du droit d’exercer toute fonction publique durant cinq (5) ans au moins et quinze (15) au plus » (article 189-1). Et ce n’est qu’après cette procédure que « le condamné peut être traduit devant les tribunaux ordinaires, conformément à la loi, s’il y a lieu d’appliquer d’autres peines ou de statuer sur l’exercice de l’action civile » (article 189-2). Ces dispositions concernent : a) le Président de la République pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l’exercice de ses fonctions ; b) le Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d’État pour crimes de haute trahison et de malversations, ou d’excès de Pouvoir COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 62 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. ou tous autres crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ; c) les membres du Conseil Électoral Permanent et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif pour fautes graves commises dans l’exercice de leurs fonctions ; d) les juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation pour forfaiture ; e) le Protecteur du citoyen. Certain intervenants voient dans ces dispositions un frein à l’application des dispositions de l’article 30 de la CNUCC qui recommande aux États de « maintenir un équilibre approprié entre toute immunité ou tous privilèges de juridiction accordés à ses agents publics dans l’exercice de leurs fonctions et la nécessité, si nécessaire de rechercher, de poursuivre et de juger effectivement les infractions » établies par la convention ». 4.8.3. Options d’amendement • Compléter l’article 238 de la constitution soit complétée en vue de rendre constitutionnelle l’obligation de publication de la déclaration de patrimoine des agents publics assujettis. • Compléter les articles 65 (CASEC), 70 (Conseil Municipal), 79 (Conseil départemental), 91 (Député), 96 (Sénateur), 135 (Président), 157 (Premier Ministre), 172.1 (Ministre), 190 (Conseil Constitutionnel), 193 (Conseil Electoral Permanent), 200.5 (CSCCA) pour rendre obligatoire la preuve de la preuve de la déclaration de patrimoine (entrée et sortie) au même titre de la décharge. • La suppression de l’article 238 accordant au Commissaire du Gouvernement la charge de vérifier l’exactitude des déclarations au profit de l’ULCC, l’Organe public charge de recueillir lesdites déclarations. • La modification de l’article 236.2 de la constitution de telle sorte que la règle de recrutement par concours soit étendue à toutes les institutions publiques, peu importe leur statut juridique et 63
UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE leur compétence territoriale, sauf pour certaines catégories de contractuels dûment identifiés par la loi • La suppression de l’article 233 de la constitution accordant au Parlement la prérogative de donner décharge aux Ministres et Premiers Ministres au profit de la CSCCA en matière de décharge au niveau de l’article 200. • La limitation de la compétence personnelle de la Haute Cour de Justice au seul Président de la République en exercice, avec en conséquence la modification des articles 186, 93, 97 et la suppression des articles 195 et 203 de la constitution. COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT 64 DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. CONCLUSION
Il ressort des discussions que la Constitution de 1987 est un contrat social. Le peuple a largement adhéré à cette Constitution. Un contrat social est un effort pour sortir de ce que Hobbes et Rousseau appellent l’état de nature pour entrer dans un état civil et politique : l’état civil garantit la propriété ; et l’état politique, la liberté. Le fondement d’une Constitution ne se situe donc pas dans les faits tels qu’ils s’observent dans les comportements, les rapports sociaux, les mœurs. Ceux-ci peuvent en effet être de nature extrêmement violente. Il se situe dans la volonté de vivre ensemble sous un certain régime, c’est-à-dire une forme d’aménagement des rapports politiques. Le contenu de cette volonté dépend d’une certaine mentalité qui peut prédisposer soit à l’entente et à la concorde, soit au conflit et à l’affrontement avec ce que cela comporte de méfiance et d’hostilité réciproques. La mentalité convoque des expériences fortes significatives dans l’histoire collective, notamment dans les rapports politiques continuellement répétés au cours des générations, et dans la nature même de ces rapports, telle qu’elle s’est forgée dans ce processus historique. Expériences qui se cristallisent dans des images, des récits, des symboles qui orientent la manière des individus de se représenter dans le vivre-ensemble et de se projeter dans l’avenir commun. C’est sur cette représentation et cette projection que se fonde la Constitution. Au-delà des aspects techniques concernant les irritants, les failles et les contradictions que comporte la Constitution, les intervenants ont beaucoup insisté sur la mentalité haïtienne dont la caractéristique essentielle est induite à partir de la crise de confiance générale : crise de confiance à l’égard des autres, à l’égard du vivre ensemble, à l’égard de l’avenir commun. Cette crise apparaît comme un facteur déterminant de la difficulté des acteurs à s’adresser à la Constitution, pour en faire le point d’appui à la fois de leur stratégie de pouvoir et de l’accomplissement de leur rôle dans le cadre du fonctionnement des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La tension qui 65 UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATION DES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE caractérise leur rapport entre eux est souvent alimentée par la suspicion. Cette attitude a aussi un impact sur les difficultés d’évolution des institutions selon les dispositions constitutionnelles. On en trouve une illustration dans le cas du Conseil Électoral Permanent. Finalement, on se demander si la question constitutionnelle peut être séparées des autres questions sociétales et historiques? Dans quelle mesure les longues expériences de dissension et d’hostilité influencent-elles les représentations et les comportements constitutionnels des individus et des groupes? Quelle approche constitutionnelle, en matière de régime politique et de gouvernance administrative, serait la plus efficace pour neutraliser les effets de la mentalité forgée par ces expériences ? Ce sont ces questionnements qui ont poussé une grande majorité des intervenants à préconiser l’instauration d’un véritable débat de société à l’occasion de la mise en œuvre de cette démarche d’amendement de la constitution.