La gauche de retour au pouvoir en Uruguay

La gauche de retour au pouvoir en Uruguay

À l’issue d’un second tour très serré, Yamandú Orsi emporte la présidentielle avec près de 50% des suffrages. L’Uruguay se prépare à connaître une nouvelle alternance politique, mais elle ne devait pas entraîner de grands bouleversements. Dans son discours de victoire, Yamandú Orsi, un ancien professeur d’histoire issu d’un milieu modeste, a promis d’œuvrer en vue d’une société plus juste et égalitaire. « Je serai, a-t-il dit, le président qui construira une société plus harmonieuse, un pays plus solidaire, où, en dépit des différences, personne ne sera jamais laissé de côté, du point de vue économique, social ou politique. Je serai le président qui appellera encore et encore au dialogue national pour trouver les meilleures solutions, bien sûr, en suivant notre vision, mais aussi en écoutant très attentivement ce que les autres nous disent ».Son adversaire, Alvaro Delgado, le candidat de la coalition de droite actuellement au pouvoir, a très vite reconnu sa défaite et félicité le vainqueur. Les deux hommes auront besoin l’un de l’autre, car Yamandú Orsi n’aura pas de majorité absolue au Parlement. Mais le dialogue entre les deux formations devrait être facilité par les convergences entrevues durant la campagne en matière de relance de la croissance économique et de réduction du déficit fiscal.Analyse de Denis Merklen, professeur à l’Université Sorbonne nouvelle, directeur de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, au micro d’Anne Cantener.Denis Merklen : La différence s’est en partie matérialisée à travers les critiques qui ont été adressées au gouvernement de l’actuel président, touché par plusieurs affaires de corruption, qu’il s’agisse de sa personne ou de l’administration de son parti. Et par la préparation de la gauche, qui a beaucoup travaillé, qui a déployé un réseau militant d’écoute de la population, qui a pu faire le bilan et se détacher de l’ancienne génération des dirigeants de gauche qui avait constitué les derniers gouvernements progressistes.Anne Cantener : La gauche, selon plusieurs observateurs, avait perdu la précédente présidentielle à cause de l’insécurité. Qu’est-ce qui a changé cette fois-ci ? La gauche était-elle mieux préparée aussi sur ce dossier-clé de la sécurité ? Denis Merklen : Ce n’est pas sûr. L’insécurité en Uruguay est un problème gravissime avec l’implantation du narcotrafic autour du port de Montevideo, quelque chose qui était totalement inconnu de ce pays, il y a quelques années à peine. Mais la population a pris conscience que ce n’était pas un problème de couleur politique, c’est un enjeu majeur et les Uruguayens n’en tiennent pas rigueur à la gauche, comment cela a pu être le cas dans le passé, en raison de la violence croissante liée au trafic de drogue. Toutes proportions gardées, car on est encore loin d’autres pays d’Amérique latine comme le Mexique ou le Brésil qui souffrent d’une violence civile extraordinaire.Anne Cantener : Les deux candidats ont beaucoup parlé d’économie, sans que l’on puisse parfois distinguer ce qui les différenciait ?Denis Merklen : La sécurité sociale, la croyance dans un État social. Et les inégalités. L’Uruguay ne s’en est pas si mal sorti ces cinq dernières années, mais la situation des plus pauvres s’est beaucoup détériorée. L’électorat uruguayen était très indécis, la différence de voix est ténue, il est probable que le retour de la partie la plus exposée des classes populaires dans le giron de la gauche ait fait la différence. Le Frente Amplio a réalisé une excellente élection parmi les couches les plus modestes de la population. Anne Cantener : Yamandú Orsi a promis du changement pendant sa campagne, mais pas de changement radical, pas de rupture forte avec ce qui a été fait jusqu’à présent, il a parlé de la nécessité de trouver des accords. Comment analysez-vous ce ton très mesuré ?Denis Merklen : Les majorités des deux chambres du Parlement, Sénat et chambre des députés, ne sont pas de même couleur politique. Le Sénat est à gauche, la Chambre des députés à droite. La négociation s’impose et ç’aurait été le cas quel que soit le vainqueur de l’élection. Par ailleurs, l’Uruguay est un pays un peu particulier dans le concert de l’Amérique latine, dans le sens où ce n’est ni une droite populiste, comme on peut la voir aujourd’hui en Argentine, ni une gauche populiste. Il y a une tradition d’accord de gouvernement, de coalition, d’entente. D’autant plus que l’opposition gouverne dans plusieurs départements du pays, dirige plusieurs entités de l’État ou participe à son administration.Anne Cantener : Cela signifie que le nouveau président de l’Uruguay aura les mains libres pour mener à bien ses mesures emblématiques, comme la réforme de la sécurité sociale, par exemple ?Denis Merklen : La gauche au pouvoir entre 2005 et 2020 a apporté d’énormes progrès en termes de protection sociale : réforme de la santé, négociations salariales, protection des travailleurs agricoles, refonte de l’université de la recherche. Mais sur ces dossiers, la droite n’était pas aussi minoritaire qu’on pourrait le croire. Une fois parvenue aux affaires, elle aurait pu revenir sur ces conquêtes sociales. Il y a bien eu quelques aménagements qui ont parfois favorisé les plus riches. Mais l’Uruguay a traversé la pandémie sans trop souffrir et a maintenu son taux de change, l’économie est relativement stable, même si la croissance est faible. L’opposition garde une marge de manœuvre importante, mais il n’y a aucune raison qu’elle exerce une minorité de blocage. Anne Cantener : Le nouveau président a fait savoir qu’il souhaitait développer les échanges à l’échelle régionale. Avec quel pays en particulier pourrait-il travailler ?Denis Merklen : Il y a une familiarité de couleur politique avec le Brésil de Lula et une amitié de longue date entre ces deux formations politiques que sont le Frente Amplio et le PT brésilien. Mais l’Uruguay est un pays, quoi qu’il en soit, largement dépendant de ses deux grands voisins, l’Argentine et le Brésil, par leur voisinage et la structure de leurs économies. La gauche uruguayenne va être obligée d’avoir des bonnes relations avec le président Milei en Argentine, ce qui ne sera pas facile. Et d’autre part, elle va se projeter vers l’international, comme elle l’avait fait pendant les précédents gouvernements de gauche, en allant vers l’Asie et la Chine, pour essayer de diminuer la dépendance vis-à-vis de ses voisins. En Haïti, la MMAS forcée de se justifierDepuis la mi-octobre 2024, plusieurs zones de Port-au-Prince sont de nouveau à feu et à sang, et les critiques fusent : où est passée la Mission multinationale d’assistance à la sécurité (MMAS) ? La force internationale dirigée par le Kenya s’est justifiée de son silence hier dans un communiqué, affirmant que si « de nombreux Haïtiens remettent en question le rôle de la MMAS et sa gestion de la situation sécuritaire, elle continue d’effectuer des patrouilles conjointes de jour et de nuit ». Et « bien que ces opérations ne soient pas largement médiatisées », elle indique avoir mené aux côtés de la Police nationale haïtienne l’assaut d’hier dans le quartier de Bas-Delmas à Port-au-Prince.Assaut « musclé » selon Radio Métronome, pas encore de bilan détaillé, mais des sources policières indiquent que plusieurs membres de groupes criminels ont été tués et d’autres blessés. Les forces de l’ordre sont en train de traquer Jimmy Chérizier, alias Barbecue, qui a failli être arrêté la semaine dernière. Le bâtiment qu’il occupait, où il avait élu domicile, a été rasé. Il est encore en fuite mais la pression s’accentue. À lire aussiFaut-il une fois encore déployer des casques bleus en Haïti pour lutter contre les groupes armés? Quel profil à la tête du FBI ?La chronique des nominations continue à Washington, Donald Trump est toujours à la recherche de son administration idéale, et cette tribune inquiète du quotidien politique The Hill s’interroge sur le futur n°1 du FBI, la toute-puissante police fédérale américaine. Le bruit court que son actuel patron va jeter l’éponge sans doute dès le mois de janvier 2025, avant l’investiture du nouveau président. Qui pour remplacer Christopher Wray à la tête de ce paquebot doté d’un budget colossal de 11 milliards de dollars et d’un personnel pléthorique, 35 000 employés, chargé de missions tous azimuts dans les domaines de la sécurité nationale et de la lutte contre la criminalité ?Depuis 1978, « tous ses directeurs ont été choisis dans la magistrature ou dans les rangs du ministère de la Justice. Le bon candidat sera celui capable d’une rupture qui permette au FBI de restaurer sa réputation, celle d’un service efficace et apolitique. La plus grosse surprise que Trump devrait se permettre serait de nommer à sa tête un spécialiste du maintien de l’ordre ». Car c’est un mandat de dix ans qui est en jeu, « pensé comme un bouclier placé au-dessus des changements de majorité et censé protéger le Bureau de toute interférence politique. Force est de constater que les directeurs issus du monde de la justice ont plutôt fait l’inverse. Il est temps, écrit l’auteur, Christopher M. Donohue, lui-même agent retraité du FBI, de dépolitiser une instruction que la moitié du pays assimile à la Gestapo personnelle de Joe Biden ».À lire aussiÉtats-Unis: une fois au pouvoir, Donald Trump veut licencier ceux qui ont lancé les poursuites contre lui L’actualité des Outre-mer avec nos confrères de la 1èreUne femme sur cinq est victime de violences conjugales en Guadeloupe et ces actes de violence sont en constante augmentation en Martinique. À lire aussiViolences faites aux femmes en France: un fléau sociétal qui traverse les siècles

À l’issue d’un second tour très serré, Yamandú Orsi emporte la présidentielle avec près de 50% des suffrages. L’Uruguay se prépare à connaître une nouvelle alternance politique, mais elle ne devait pas entraîner de grands bouleversements.

Dans son discours de victoire, Yamandú Orsi, un ancien professeur d’histoire issu d’un milieu modeste, a promis d’œuvrer en vue d’une société plus juste et égalitaire. « Je serai, a-t-il dit, le président qui construira une société plus harmonieuse, un pays plus solidaire, où, en dépit des différences, personne ne sera jamais laissé de côté, du point de vue économique, social ou politique. Je serai le président qui appellera encore et encore au dialogue national pour trouver les meilleures solutions, bien sûr, en suivant notre vision, mais aussi en écoutant très attentivement ce que les autres nous disent ».

Son adversaire, Alvaro Delgado, le candidat de la coalition de droite actuellement au pouvoir, a très vite reconnu sa défaite et félicité le vainqueur. Les deux hommes auront besoin l’un de l’autre, car Yamandú Orsi n’aura pas de majorité absolue au Parlement. Mais le dialogue entre les deux formations devrait être facilité par les convergences entrevues durant la campagne en matière de relance de la croissance économique et de réduction du déficit fiscal.

Analyse de Denis Merklen, professeur à l’Université Sorbonne nouvelle, directeur de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, au micro d’Anne Cantener.

Denis Merklen : La différence s’est en partie matérialisée à travers les critiques qui ont été adressées au gouvernement de l’actuel président, touché par plusieurs affaires de corruption, qu’il s’agisse de sa personne ou de l’administration de son parti. Et par la préparation de la gauche, qui a beaucoup travaillé, qui a déployé un réseau militant d’écoute de la population, qui a pu faire le bilan et se détacher de l’ancienne génération des dirigeants de gauche qui avait constitué les derniers gouvernements progressistes.

Anne Cantener : La gauche, selon plusieurs observateurs, avait perdu la précédente présidentielle à cause de l’insécurité. Qu’est-ce qui a changé cette fois-ci ? La gauche était-elle mieux préparée aussi sur ce dossier-clé de la sécurité ? 

Denis Merklen : Ce n’est pas sûr. L’insécurité en Uruguay est un problème gravissime avec l’implantation du narcotrafic autour du port de Montevideo, quelque chose qui était totalement inconnu de ce pays, il y a quelques années à peine. Mais la population a pris conscience que ce n’était pas un problème de couleur politique, c’est un enjeu majeur et les Uruguayens n’en tiennent pas rigueur à la gauche, comment cela a pu être le cas dans le passé, en raison de la violence croissante liée au trafic de drogue. Toutes proportions gardées, car on est encore loin d’autres pays d’Amérique latine comme le Mexique ou le Brésil qui souffrent d’une violence civile extraordinaire.

Anne Cantener : Les deux candidats ont beaucoup parlé d’économie, sans que l’on puisse parfois distinguer ce qui les différenciait ?

Denis Merklen : La sécurité sociale, la croyance dans un État social. Et les inégalités. L’Uruguay ne s’en est pas si mal sorti ces cinq dernières années, mais la situation des plus pauvres s’est beaucoup détériorée. L’électorat uruguayen était très indécis, la différence de voix est ténue, il est probable que le retour de la partie la plus exposée des classes populaires dans le giron de la gauche ait fait la différence. Le Frente Amplio a réalisé une excellente élection parmi les couches les plus modestes de la population. 

Anne Cantener : Yamandú Orsi a promis du changement pendant sa campagne, mais pas de changement radical, pas de rupture forte avec ce qui a été fait jusqu’à présent, il a parlé de la nécessité de trouver des accords. Comment analysez-vous ce ton très mesuré ?

Denis Merklen : Les majorités des deux chambres du Parlement, Sénat et chambre des députés, ne sont pas de même couleur politique. Le Sénat est à gauche, la Chambre des députés à droite. La négociation s’impose et ç’aurait été le cas quel que soit le vainqueur de l’élection. Par ailleurs, l’Uruguay est un pays un peu particulier dans le concert de l’Amérique latine, dans le sens où ce n’est ni une droite populiste, comme on peut la voir aujourd’hui en Argentine, ni une gauche populiste. Il y a une tradition d’accord de gouvernement, de coalition, d’entente. D’autant plus que l’opposition gouverne dans plusieurs départements du pays, dirige plusieurs entités de l’État ou participe à son administration.

Anne Cantener : Cela signifie que le nouveau président de l’Uruguay aura les mains libres pour mener à bien ses mesures emblématiques, comme la réforme de la sécurité sociale, par exemple ?

Denis Merklen : La gauche au pouvoir entre 2005 et 2020 a apporté d’énormes progrès en termes de protection sociale : réforme de la santé, négociations salariales, protection des travailleurs agricoles, refonte de l’université de la recherche. Mais sur ces dossiers, la droite n’était pas aussi minoritaire qu’on pourrait le croire. Une fois parvenue aux affaires, elle aurait pu revenir sur ces conquêtes sociales. Il y a bien eu quelques aménagements qui ont parfois favorisé les plus riches. Mais l’Uruguay a traversé la pandémie sans trop souffrir et a maintenu son taux de change, l’économie est relativement stable, même si la croissance est faible. L’opposition garde une marge de manœuvre importante, mais il n’y a aucune raison qu’elle exerce une minorité de blocage. 

Anne Cantener : Le nouveau président a fait savoir qu’il souhaitait développer les échanges à l’échelle régionale. Avec quel pays en particulier pourrait-il travailler ?

Denis Merklen : Il y a une familiarité de couleur politique avec le Brésil de Lula et une amitié de longue date entre ces deux formations politiques que sont le Frente Amplio et le PT brésilien. Mais l’Uruguay est un pays, quoi qu’il en soit, largement dépendant de ses deux grands voisins, l’Argentine et le Brésil, par leur voisinage et la structure de leurs économies. La gauche uruguayenne va être obligée d’avoir des bonnes relations avec le président Milei en Argentine, ce qui ne sera pas facile. Et d’autre part, elle va se projeter vers l’international, comme elle l’avait fait pendant les précédents gouvernements de gauche, en allant vers l’Asie et la Chine, pour essayer de diminuer la dépendance vis-à-vis de ses voisins.

 

En Haïti, la MMAS forcée de se justifier

Depuis la mi-octobre 2024, plusieurs zones de Port-au-Prince sont de nouveau à feu et à sang, et les critiques fusent : où est passée la Mission multinationale d’assistance à la sécurité (MMAS) ? La force internationale dirigée par le Kenya s’est justifiée de son silence hier dans un communiqué, affirmant que si « de nombreux Haïtiens remettent en question le rôle de la MMAS et sa gestion de la situation sécuritaire, elle continue d’effectuer des patrouilles conjointes de jour et de nuit ». Et « bien que ces opérations ne soient pas largement médiatisées », elle indique avoir mené aux côtés de la Police nationale haïtienne l’assaut d’hier dans le quartier de Bas-Delmas à Port-au-Prince.

Assaut « musclé » selon Radio Métronome, pas encore de bilan détaillé, mais des sources policières indiquent que plusieurs membres de groupes criminels ont été tués et d’autres blessés. Les forces de l’ordre sont en train de traquer Jimmy Chérizier, alias Barbecue, qui a failli être arrêté la semaine dernière. Le bâtiment qu’il occupait, où il avait élu domicile, a été rasé. Il est encore en fuite mais la pression s’accentue.

 

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Quel profil à la tête du FBI ?

La chronique des nominations continue à Washington, Donald Trump est toujours à la recherche de son administration idéale, et cette tribune inquiète du quotidien politique The Hill s’interroge sur le futur n°1 du FBI, la toute-puissante police fédérale américaine. Le bruit court que son actuel patron va jeter l’éponge sans doute dès le mois de janvier 2025, avant l’investiture du nouveau président. Qui pour remplacer Christopher Wray à la tête de ce paquebot doté d’un budget colossal de 11 milliards de dollars et d’un personnel pléthorique, 35 000 employés, chargé de missions tous azimuts dans les domaines de la sécurité nationale et de la lutte contre la criminalité ?

Depuis 1978, « tous ses directeurs ont été choisis dans la magistrature ou dans les rangs du ministère de la Justice. Le bon candidat sera celui capable d’une rupture qui permette au FBI de restaurer sa réputation, celle d’un service efficace et apolitique. La plus grosse surprise que Trump devrait se permettre serait de nommer à sa tête un spécialiste du maintien de l’ordre ». Car c’est un mandat de dix ans qui est en jeu, « pensé comme un bouclier placé au-dessus des changements de majorité et censé protéger le Bureau de toute interférence politique. Force est de constater que les directeurs issus du monde de la justice ont plutôt fait l’inverse. Il est temps, écrit l’auteur, Christopher M. Donohue, lui-même agent retraité du FBI, de dépolitiser une instruction que la moitié du pays assimile à la Gestapo personnelle de Joe Biden ».

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