Port-au-Prince ou port aux gangs ?

Port-au-Prince ou port aux gangs ?

Depuis près d’une année, des individus lourdement armés imposent leur loi dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince, terrorisant ainsi les citoyens et mettant à l’épreuve les autorités étatiques.
Cartographie des gangs armés de la région métropolitaine…

La zone de Carrefour-feuille, localité située dans la 2e circonscription de Port-au-Prince, a connu un après-midi mouvementé, le mercredi 9 janvier 2019. A la base de ce climat de tension: l’assassinat par balles du policier Grégory Antoine alias « Ti Greg », par le Chef de gangs qui contrôle le quartier « Savann Pistach ».

Le corps sans vie de Grégory Antoine a été par la suite emporté par ses assassins. Ses sympathisants, en représailles, ont dressé, le jeudi 10 janvier 2019 dans la matinée, des barricades de pneus usagés enflammés, dans les rues de Carrefour Feuilles, où des tirs nourris ont été entendus, la veille.

Ce meurtre vient d’allonger la liste des policiers tués par des gangs armés, durant l’année 2018. Des groupes armés qui s’entretuent et se mesurent avec les forces de l’ordre, les armes automatiques chantent presque chaque jour dans les 2ème, 3èmecirconscription de Port-au-Prince et leurs environs. Les individus armés font la loi. Les citoyens, angoissés, vivent la peur au ventre.

« Savann Pistach », nouveau défi pour la police

Il n’est pas trop loin de « Gran Ravin », un autre quartier dangereux de la capitale haïtienne. « Savann Pistach », localité située à Carrefour-feuille, 2e circonscription de Port-au-Prince, fait parler de lui depuis plusieurs mois. Cette zone se trouvant à moins de 5 minutes en voiture du Palais national, est dirigée par le nommé « Ti Je » ainsi connu. Ce nouveau nom qui fait désormais le tour des réseaux sociaux, vient renforcer la liste des chefs de gangs qui instaurent la terreur dans la capitale.

A « Savann Pistach », les riverains fonctionnent sous les dictées des bandits. A ce quartier, les policiers accèdent difficilement. La troupe pilotée par « Ti Je » semble interdire l’entrée des forces de l’ordre. Ils ont déjà à leur actif plusieurs cas d’assassinat.

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018, son groupe armé a secoué la zone et incendié une partie du sous-commissariat de police et plusieurs maisons dans cette localité. Quelques jours plus tard, la police est de retour et tente de renforcer sa présence. Une présence qui n’a aucun effet et qui ne dérange en rien l’action des bandits. Les jours passent. Les gangs de « Savann Pistach » gagnent du terrain, et représentent un défi pour la PNH, voire une menace pour Port-au-Prince.

La 3e circonscription prise en otage

Depuis le début de l’année 2018, c’est le calvaire pour les automobilistes qui veulent se rendre dans le Sud d’Haïti. Des tirs à l’arme automatique sont entendus presque quotidiennement. La guerre des gangs constitue le quotidien des riverains. Que ce soit à « Gran Ravin », « Ti bwa », 1e, 2e, 3e, 4e avenue bolosse ou à « Village de Dieu », les hommes armés s’affrontent et s’entretuent.

A « Gran Ravin » par exemple, quartier dirigé par le nommé « Bougòy », la terreur s’y installe depuis plusieurs mois. Lourdement armés, des dizaines de jeunes tuent, s’affrontent avec les policiers mais rançonnent égalementles automobilistes qui fréquentent cette voie. Le nombre de blessés et de décès par balle s’accroit.

13 novembre 2017. Une opération policière est tournée au drame à « Gran Ravin ». Des agents de l’Unité Départementale de Maintien d’Ordre s’étaient rendu sur les lieux dans le but de « déloger les gangs ». Mais faute de planification, l’intervention a mal tourné. 2 morts dans le camp de la police et plusieurs décès au sein de la population civile. L’opération a suscité de vives critiques. Des organisations de défense des droits humains avaient même parlé de massacre, tenant compte du nombre de victime enregistré.

A quelques pas de « Gran Ravin », un autre groupe armé s’installe dans la localité dénommé « Tibwa ». Le nommé« Chrisla » règne en maître, à 2 doigts d’un poste de police, composé d’agents de l’UDMO. Ce groupe armé s’érige en défenseur de la 3èmecirconscription de Port-au-Prince, et affronte ceux de « Gran Ravin ». Entretemps, dans les zones de 1ère, 2èmeavenue Bollosse ainsi qu’a Portail Léogane, c’est « Baz Pilate » qui domine, avec à sa tête « Rebèl » ainsi connu. Ce cartel composé majoritairement de policiers, se fixe un objectif clair : « traquer les voleurs et criminels pour combler ce qu’ils appellent « l’absence des autorités ».

Dans cette même circonscription, un autre nom défraie la chronique. Son nom fait la Une de l’actualité et des réseaux sociaux. Il intervient dans des émissions radiophoniques. Anel Joseph, alias « Anel » ainsi connuest aux commandes à Village de Dieu. Accompagné de sa troupe, cet originaire de l’Artibonite a multiplié ses démonstrations de force durant toute l’année 2018. Les affrontements armés avec d’autres groupes rivaux se sont succédé, ce qui a souvent paralysé toutes les activités àl’entrée Sud de Port-au-Prince.

Alors qu’il est activement recherché par la police à Port-au-Prince, des informations pertinentes confirment que le nommé Anel s’est basé à Petite-Rivière de l’Artibonitedepuis l’opération du 3 novembre 2018. Le puissant Chef de gang semble s’être évaporé dans la nature. Depuis novembre 2018, la PNH a même mis un montant de 2 millions de gourdes disponible à celui qui aide à capturer Anel, qui reste et demeure un exercice apparemment difficile, un défi pour les forces de l’ordre.

Vu leurs configurations, les quartiers de la 3ecirconscription sont difficiles d’accès. Les opérations policières restent compliquées, ce qui renforce l’empire des gangs, qui paradoxalement s’autoproclament « agents de développement ». Il est vrai que la tension est réduite dans certains quartiers de la 3e circonscription depuis plusieurs semaines, mais les risques d’affrontements et de dérapages demeurent. La peur ne cesse de s’installer chez les familles qui abandonnent graduellement le quartier.

« La Saline », territoire à éviter

Plusieurs décès par balle, des maisons incendiées, des personnes décapitées…, le quartier La Saline a vécu l’enfer le 13 novembre 2018. Ce jour-là, des groupes armés s’affrontaient. Si certains parlent d’un conflit armé pour contrôler Croix-des-Bossales, le plus grand centre commercial du pays, d’autres, cependant, avancent des raisons politiques pour justifier ces affrontements sanglants.

3 jours après cet évènement, des organismes de défense de droits humains présentent des rapports préliminaires et qualifient de « massacre d’Etat» ce qui s’est passé. Depuis, une véritable guerre des chiffres s’est déclarée. Une dizaine, une vingtaine ou une cinquantaine…, entre la police et les défenseurs des droits humains, chacun détient leur nombre de morts, créant ainsi une grande confusion dans l’opinion.

Que s’est-il passé réellement ? Une question à laquelle le Parquet de Port-au-Prince conjointement avec la Direction Centrale de la Police Judiciaire et l’Inspection Générale de la PNH s’attèlent également à trouver une réponse. En attendant l’aboutissement de leurs enquêtes, les autorités policières et judiciaires avaient informé, le 31 décembre 2018, avoir retrouvé des restes humains sur les lieux. Depuis la nuit sanglante, aucune opération policière n’est effectuée.

Jusqu’au mois de décembre 2018, les tirs sporadiques n’avaient pas cessé à La Saline, un quartier situé à la sortie Nord de Port-au-Prince, en face d’un grand port maritime, non loin du Parlement haïtien. Au début du mois de novembre 2018, le chef de gang de ce bidonville connu sous le nom de «Kiki » a été tué par balles lors des échanges avec la police. Peu de temps après, son remplaçant, « Bout Jean Jean » a été arrêté, puis incarcéré au Pénitencier National.

Delmas 4, un ex-policier à la tête d’un groupe armé

Le Directeur général de la police a approuvé en décembre 2018 sa recommandation de renvoi de l’institution policière, après une enquête de l’Inspection Générale de la PNH. Jimmy Cherisier, ex-agent de l’UDMO a été renvoyé pour abandon de poste mais aussi, pour comportement non-exemplaire.

Connu sous le nom de « Barbecue », cet individu, avant même sa révocation, exhibait sans crainte son arsenal de guerre, à travers des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. « Barbecue » est à la tête d’une troupe armée, et se donne pour mission de protéger sa zone, traquer les voleurs, violeurs et fauteurs de trouble.

Si Jimmy Cherisier s’érige en leader armé à Delmas 4, d’autres gangs armés dans les zones avoisinantes, essayent de défier son autorité, et veulent prendreégalement le contrôle de ce territoire. Jimmy Cherisier ne fait plus partie de la Police Nationale d’Haïti, mais reste et demeure un professionnel des armes à feu. Il continue de diriger son groupe qui bénéficie du financement de certaines entreprises de la place, en quête de protection.

Cité Soleil et sa paix fragile

Dans les 34 quartiers de Cité Soleil, le plus grand bidonville de la Caraïbes, les chefs de gangs ont déposé leurs armes. Entre « Ti Ougan » pour le quartier Boston, « Gabriel » pour le bas de la cité, « Isca » pour Belekou, une trêve a été trouvée. Depuis 2015, ils s’entendent et créent des fondations, en vue de favoriser la réalisation de projets socioéconomiques dans la zone, pouvant leur permettre du coup de gagner beaucoup plus d’argent. Ils offrent de l’assistance sociale aux citoyens. Ils remplacent l’Etat qui dont l’absence est, semble-t-il, confirmée dans cette zone qui a connu de grandes turbulences politiques entre 2004 et 2007.

Il est clair qu’entre les jeunes armés d’hier et ceux d’aujourd’hui, les stratégies ont changé. Les armes sont là, mais ne sont plus utilisées pour voler, kidnapper et tuer. Elles sont utilisées comme moyen de pression pour faire venir des projets sociaux dans la Cité. Malgré cette entente, des petits affrontements armés ont eu lieu, mais aucune victime n’est à déplorer jusqu’ici. A Cité Soleil, policiers et bandits cohabitent pour maintenir la paix.

Dans la foulée, de puissants hommes d’affaire haïtiens et de politiciens y pénètrent. Ils courtisent ces jeunes armés dans le but de protéger leurs entreprises qui y sont implantées et de contrôler le bidonville à l’approche des élections. Le climat d’apaisement qui s’installe à Cité Soleil favorise l’exécution de plusieurs projets, dont celui de la construction d’une grande bibliothèque communautaire. Une série d’initiatives qui vise à donner une autre voie aux jeunes et contribuer du coup à la pérennisation de cette paix demeurée fragile.

Gangs et politiciens, quel rapport ?

Depuis plus d’une dizaine d’année, le rapport entre politiciens et gangs armés devient de plus en plus étroit. Gagner des élections, asseoir leur pouvoir, créer des troubles politiques…, les raisons de ce rapprochement sont multiples. Qu’il soit « Tèt Kale » ou « Lavalas », les régimes politiques ont souvent eu recours aux jeunes armés des quartiers chauds qui se laissent manipuler en raison de leurs situations économiques précaires.

Des gangs armés qui ont de très bon rapport avec des hommes politiques haïtiens, c’est désormais un secret de polichinelle. Sous l’influence des politiciens, des parlementaires en particulier, des individus arrêtés pour des actes criminels sont parfois libérés. D’autres accusations pèsent sur des députés et des sénateurs haïtiens, relatives à leur rapport aux gangs armés.

Samedi 3 novembre 2018. Une importante opération policière d’envergure dans le quartier Village de Dieu a tourné au fiasco. Des habitants ont été arrêtés, mais le principal Chef de gang de la zone, Anel Joseph, recherché, a eu le temps de s’enfuir. Printemps Bélisaire, député de la 50ème législature est accusé d’avoir permis à cet évadé de prison de s’échapper à bord d’un véhicule officiel. L’information a été rapportée par le Président de l’assemblée nationale, Joseph Lambert, qui a mentionné clairement le nom de l’élu de la 3e circonscription de Port-au-Prince. Une accusation rejetée d’un revers de main par le député Bélisaire qui a même sommé le Sénateur du Sud-est, créant ainsi une divergence entre ces deux parlementaires.

Si les gangs de Port-au-Prince sont lourdement armés,certains s’interrogent toutefois sur la provenance des armes à feu ! Selon des informations confirmées par des jeunes vivants dans ces bidonvilles, les groupes armés sont souvent alimentés par divers secteurs du pays, le politique en particulier.

Aussi, faut-il rappeler que plus de 200 mille armes à feu sont en circulation en Haïti. « De ce chiffre, seulement 30% sont enregistrés », selon une enquête réalisée en 2007 par la Commission Episcopale Justice et Paix (CE-JILAP). Et dans son bilan annuel présenté en décembre 2018, l’organisme de défense des droits humains a fait état de plus de 600 personnes tuées par balles. Un chiffre qui confirme le niveau élevé de la criminalité en Haïti,particulièrement à Port-au-Prince.

Gran Ravin, Ti Bwa, Village de Dieu, La Saline, Cité Soleil, Savann Pistach…, les individus armés sont partout et contrôlent presque tout dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. La capitale est surplombée de gangs qui ne cessent de montrer leur muscle, face à une police haïtienne impuissante et un système judiciaire affaibli. Les hors-la-loi continuent de faire la loi, la « gangstérisation de Port-au-Prince » se précise de plus en plus.

 

 

Luckson SAINT-VIL

Photo : Dieu-Nalio CHERY

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