Presque partout, les débats sur l’intelligence artificielle (IA) se cantonnent à l’impact sur l’emploi et à la rentabilité à attendre des investissements. Ces questions, bien qu’importantes, négligent un problème plus profond : les entreprises elles-mêmes survivront-elles à l’IA, du moins sous leur forme actuelle ? L’entreprise n’est pas une organisation « naturelle ». Elle est apparue au XVIe siècle, avec
Presque partout, les débats sur l’intelligence artificielle (IA) se cantonnent à l’impact sur l’emploi et à la rentabilité à attendre des investissements. Ces questions, bien qu’importantes, négligent un problème plus profond : les entreprises elles-mêmes survivront-elles à l’IA, du moins sous leur forme actuelle ?
L’entreprise n’est pas une organisation « naturelle ». Elle est apparue au XVIe siècle, avec les grandes compagnies maritimes, lorsque les marchands ont cherché à s’associer pour gérer les incertitudes du commerce mondial. Comme l’a expliqué le Nobel d’économie Ronald Coase dans son essai de 1937 intitulé The Nature of the Firm [« la nature de la firme »], les entreprises existent parce que l’utilisation directe des marchés est coûteuse. Elles permettent aux gens de coopérer dans le cadre d’accords contractuels à long terme plutôt que par le biais de transactions ponctuelles. Un autre Nobel, Oliver Williamson, dans son ouvrage de 1975 Markets and Hierarchies [« marchés et hiérarchies »] a poursuivi la réflexion. Les entreprises existent parce que les êtres humains sont imparfaits : les individus ne peuvent pas tout prévoir et font parfois passer leurs propres intérêts en premier. Pour éviter des négociations et des renégociations sans fin, les entreprises s’appuient sur des gestionnaires pour prendre des décisions et les faire appliquer.
L’IA change la donne. Les problèmes de coordination qui justifiaient naguère les hiérarchies d’entreprise peuvent être résolus en temps réel par des algorithmes et par le partage instantané des connaissances. Conséquence : la raison d’être des entreprises commence à s’estomper.
L’IA permet aussi de résoudre une profonde tension qui a façonné l’histoire économique. Comme l’explique Carl Benedikt Frey, professeur à l’université d’Oxford, dans son ouvrage How Progress Ends [« comment finit le progrès », Princeton University Press, 2025, non traduit], les économies modernes doivent trouver un équilibre entre la recherche de nouvelles idées (exploration) et la mise à l’échelle et le perfectionnement de ce qui existe déjà (exploitation). L’exploration prospère dans des environnements ouverts et expérimentaux, tandis que l’exploitation dépend de la structure, de la discipline et de la hiérarchie. L’entreprise est le véhicule par excellence de l’exploitation, mais elle peut être un obstacle au progrès : elle étouffe les capacités d’exploration. Les institutions conçues pour l’ancienne économie résistent à la logique de la nouvelle.
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