Trafic d’organes sous couvert d’anguilles : un réseau mafieux protégé par l’inaction de l’État haïtien

Trafic d’organes sous couvert d’anguilles : un réseau mafieux protégé par l’inaction de l’État haïtien

Une lettre du Réseau haïtien des journalistes anti-corruption révèle un réseau criminel de trafic d’organes et de contrebande d’anguilles en Haïti, impliquant des personnalités politiques au sein du ministère de l’Agriculture. Le scandale suscite l’indignation populaire face à l’inaction des autorités, et appelle à une justice indépendante pour briser le silence sur ces crimes.

Révélations choc d’un réseau criminel occulté

Port-au-Prince, mai 2025 – Une lettre ouverte explosive du Réseau haïtien des journalistes anti-corruption (RHAJAC) vient de mettre au jour l’existence présumée d’un vaste réseau de trafic d’organes humains et de contrebande d’anguilles, opéré sous le couvert d’un commerce légal. D’après ce document adressé le 13 mai 2025 à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), ce réseau criminel disposerait de ramifications jusqu’au sommet de l’État. Il exploiterait le ministère de l’Agriculture comme plaque tournante de ses activités illicites, profitant d’une façade légale – l’exportation d’anguilles – pour dissimuler l’horreur d’un trafic d’organes.

Le RHAJAC cite nommément plusieurs personnalités considérées comme membres présumés de ce réseau : Betty Lamy, Fritz Richardson, Walson Sanon, Monnley Salvard, Wilner Joseph, Gonathan Getant et Guyto Joseph. Ces individus gravitent autour du lucratif commerce des anguilles et certains ont obtenu des licences d’exportation délivrées par le ministère de l’Agriculture ces dernières années. Des sources non officielles évoquent même des liens entre ce groupe et le gang « 5 Segond », l’un des gangs armés les plus redoutés d’Haïti, ce qui suggère une inquiétante alliance entre crime organisé et milieux d’affaires. Si ces allégations se confirment, elles révèlent un réseau tentaculaire mêlant trafiquants, fonctionnaires corrompus et criminels notoires.

Un ministère « acheté » 3 millions $ et des complicités au sommet

Parmi les noms cités figure le ministre de l’Agriculture en fonction, M. Vernet Joseph. Selon le RHAJAC, sa nomination à ce poste clé n’a rien d’un hasard : elle aurait été « monnayée » à hauteur de 3 millions de dollars américains dans le cadre d’un arrangement politique. Ce marché occulte aurait été orchestré par l’ancien sénateur Moïse Jean-Charles – figure de l’opposition radicale et leader du parti Pitit Dessalines – avec la complicité de son avocat Me Emmanuel Vertilaire, aujourd’hui membre influent du Conseil présidentiel de transition (CPT). En échange de ce pot-de-vin, Moïse Jean-Charles et ses alliés auraient obtenu de contrôler le ministère de l’Agriculture, stratégiquement important pour le commerce des anguilles.

Cette prise de contrôle du ministère aurait permis à un groupe bien structuré – incluant Betty Lamy, proche de Moïse Jean-Charles, ainsi que Fritz Richardson et Walson Sanon – de s’accaparer le commerce d’exportation d’anguilles en Haïti. Officiellement, ces entrepreneurs expédient vers l’Asie les précieuses civelles (jeunes anguilles) très prisées sur le marché international. Mais en sous-main, affirme le RHAJAC, cette filière servirait de façade à un trafic infiniment plus sinistre : le prélèvement et la vente d’organes humains sur le marché noir. Autrement dit, derrière des cargaisons d’anguilles en apparence anodines se cacherait un commerce macabre, avec la bénédiction tacite de décideurs haut placés.

Le choix du ministère de l’Agriculture pour abriter un tel réseau n’est pas anodin. En Haïti, le commerce des anguilles est un secteur restreint, jadis monopolisé par quelques familles, et désormais convoité par de nouveaux acteurs cherchant à en tirer profit. En obtenant la mainmise sur ce ministère par des moyens frauduleux, les parrains du trafic auraient sécurisé couverture institutionnelle et accès aux licences d’exportation, leur garantissant à la fois légitimité apparente et impunité pour leurs cargaisons. Le RHAJAC dénonce une collusion entre intérêts politiques et crime organisé : ce sont des complicités au sommet de l’État qui auraient transformé une administration publique en centre névralgique d’activités criminelles.

Anguilles et organes : une façade commerciale pour un crime sordide

Derrière l’essor soudain du commerce d’anguilles se dessinerait donc un trafic odieux. Les dénonciations du RHAJAC jettent la lumière sur plusieurs indices troublants. D’abord, un incident aérien suspect : le 3 octobre 2024, un avion privé appartenant à Betty Lamy – l’une des supposées têtes du réseau – s’est écrasé peu après son décollage. L’appareil, exploité par la compagnie Sarah Express Airways, avait pris son envol sans autorisation de l’OFNAC (l’autorité de l’aviation civile) et transportait une cargaison illégale d’anguilles, en violation totale des réglementations. Le crash a coûté la vie aux deux pilotes (l’Haïtien Hantz Blaise et l’Américain Saint-Amour Guy Emmanuel) et a mis à jour le fait que des exportations clandestines d’anguilles étaient en cours. Or, malgré ces éléments accablants, aucune enquête approfondie n’a été menée sur les circonstances de l’accident ni sur la nature exacte de la cargaison.

Des bassins remplis d'anguilles, avec de l'eau en train de s'écouler, dans un environnement de culture aquatique.

Pour le RHAJAC, ce crash n’est pas un incident isolé, mais bien la partie émergée de l’iceberg. Il confirmerait que la filière des anguilles sert de couverture logistique à des activités criminelles, possiblement au transport d’organes humains destinés à la contrebande. Le choix d’un vol privé non autorisé, chargé d’anguilles hors cadre légal, suggère l’existence de canaux parallèles d’exportation, échappant aux contrôles officiels. De telles routes clandestines pourraient être utilisées pour exfiltrer des organes prélevés illicitement, camouflés parmi des produits de la mer. Cette hypothèse glaçante alimente la psychose dans l’opinion publique haïtienne, d’autant que l’État semble fermer les yeux sur ces opérations louches.

En outre, la filière des anguilles a déjà été entachée de controverses dans le passé. Des voix s’étaient élevées pour dénoncer un monopole occulte sur ce commerce juteux, attribué à des proches du pouvoir, et fustiger la délivrance arbitraire de licences d’exportation sur fond de favoritisme politique. Aujourd’hui, ce qui était considéré comme un simple scandale économique prend une tournure beaucoup plus sinistre, avec l’ombre du trafic d’organes planant sur ce secteur. Les allégations actuelles laissent entendre qu’au-delà de la contrebande d’anguilles (fraude douanière délibérée qui prive l’État de revenus), c’est la dignité humaine elle-même qui serait bafouée par des prélèvements d’organes organisés comme un commerce.

L’hôpital de Milot : au cœur des soupçons

L’épicentre du scandale se situerait dans le nord du pays, à l’hôpital Sacré-Cœur de Milot, un établissement hospitalier de la région du Cap-Haïtien. Ce choix géographique n’est pas anodin : Milot est le fief politique de Moïse Jean-Charles, le même ancien sénateur soupçonné d’avoir monnayé le ministère de l’Agriculture. Depuis plusieurs jours, cet hôpital est enveloppé de soupçons alarmants et de témoignages effrayants.

Des disparitions inexpliquées y ont été signalées, dont celle d’une employée de l’hôpital, Isemelie Joisil, introuvable après son service. S’y ajoutent les récits glaçants de plusieurs familles locales : des mères affirment que leurs bébés nés à l’hôpital Sacré-Cœur ont été victimes de prélèvements illégaux d’organes. Ces parents, en faisant suivre médicalement leurs enfants quelque temps après la naissance, ont découvert avec horreur que certains de ces nourrissons ne possédaient qu’un seul rein. L’idée qu’un rein aurait pu être prélevé à leur insu, dès la naissance, plonge la communauté dans la consternation.

Illustration d'un rein humain, avec des détails anatomiques et le mot 'Rein' écrit à côté.

Ces témoignages troublants, bien que non encore vérifiés de manière indépendante, ont suffi à créer un climat de peur et à attiser la colère dans la région de Milot. Beaucoup d’habitants redoutent désormais de se rendre à l’hôpital local, craignant d’y laisser plus que leur santé. La rumeur d’un trafic d’organes y est sur toutes les lèvres, alimentée par le silence des autorités hospitalières et l’absence de clarification officielle. Des citoyens en viennent à organiser discrètement la surveillance des morgues et des allers-et-venues nocturnes, tant la méfiance est grande. Le sentiment d’insécurité sanitaire s’ajoute à l’insécurité générale que connaît déjà le pays sur le plan criminel.

Il importe de souligner que l’hôpital Sacré-Cœur de Milot, jusque-là réputé pour être appuyé par des organisations caritatives internationales, se retrouve désormais au cœur d’un scandale d’État présumé. Si les faits allégués s’avèrent exacts, cela signifierait qu’une institution de soin a été détournée de sa mission pour devenir le théâtre d’un crime abominable. Les familles des victimes potentielles réclament la vérité et la justice, tandis que l’onde de choc de ces révélations s’étend bien au-delà du Nord, dans tout le pays et parmi la diaspora haïtienne.

Silence des autorités et indignation populaire

Malgré la gravité extrême des faits rapportés, la réponse des autorités haïtiennes reste désespérément inexistante. À ce jour, aucune enquête officielle n’a été ouverte par la police ou la justice sur ce présumé réseau de trafic d’organes. Le gouvernement et les institutions compétentes gardent un silence assourdissant, comme si l’énormité du scandale les paralysait – ou pire, comme si certaines autorités étaient décidées à étouffer l’affaire.

Ce silence institutionnel est d’autant plus incompréhensible que deux personnalités éminentes du pays, anciens présidents du CPT, ont publiquement reconnu l’existence de réseaux de trafic d’organes en Haïti. Leslie Voltaire et Fritz Alphonse Jean – qui ont successivement dirigé le Conseil de transition – ont admis devant les médias que de tels trafics criminels sévissent dans le pays, rejoignant en cela les alertes d’autres acteurs publics. Leurs déclarations corroborent de manière troublante les mises en garde du RHAJAC. Pourtant, ni ces aveux publics ni la lettre détaillée de l’organisation anti-corruption n’ont réussi à susciter pour l’instant de réaction visible de la part de l’appareil judiciaire ou du gouvernement.

Capture d'écran de commentaires sur les réseaux sociaux concernant des allégations de trafic d'organes à Milot, Haïti.

Dans les rues et sur les réseaux sociaux, l’indignation populaire grandit de jour en jour. Les Haïtiens, déjà éprouvés par l’insécurité généralisée, la violence des gangs et la corruption endémique, voient dans cette affaire une nouvelle ligne rouge franchie. « Après les kidnappings, voilà qu’ils volent nos organes ! » s’indigne un internaute, résumant le sentiment de trahison et de révolte qui gagne la population. Des organisations de la société civile, des militants des droits humains et de simples citoyens expriment leur colère face à l’inaction des autorités. Ils craignent qu’en laissant prospérer ce trafic sordide, l’État envoie un message d’impunité totale, semblable à celui qui a permis aux gangs criminels de proliférer ces dernières années.

En effet, l’histoire récente d’Haïti a montré comment l’inaction ou la complaisance de l’État face aux exactions des gangs a contribué à renforcer ces derniers. De la même manière, ne rien faire face à un réseau de trafic d’organes équivaudrait à le légitimer par le silence. Le risque est grand de voir s’installer une véritable industrie macabre, opérant dans l’ombre avec la même impunité que les gangs qui terrorisent la population au grand jour. Ce parallèle glaçant nourrit la peur : peur que des vies soient sacrifiées sur l’autel du profit, peur que l’État de droit ne soit qu’un mirage si de tels crimes restent impunis.

Un test pour le nouveau gouvernement de transition

La révélation de ce scandale place le nouveau leadership politique haïtien devant ses responsabilités historiques. Depuis fin 2024, le Conseil présidentiel de transition est dirigé par Fritz Alphonse Jean, économiste respecté devenu Président du CPT après Leslie Voltaire. Fritz Jean (ainsi nommé dans l’arène politique) est désormais l’une des figures de proue du gouvernement de transition chargé de rétablir un minimum de gouvernance et de préparer des élections. Or, le même Fritz Jean a lui-même admis publiquement que le trafic d’organes est une réalité en Haïti. Saura-t-il maintenant joindre le geste à la parole ? Son gouvernement osera-t-il enfin lancer une enquête sérieuse, indépendante et publique sur ces allégations ? C’est la question centrale qui se pose à l’heure actuelle.

Le défi est immense, car il ne s’agit pas seulement d’annoncer une enquête de façade pour calmer l’opinion. Il faut affronter un réseau potentiellement protégé par des acteurs puissants, et possiblement infiltré au sein même de l’appareil d’État. En d’autres termes, c’est un test de crédibilité majeur pour le gouvernement de transition. S’il échoue à agir avec vigueur et transparence, il enverra un signal catastrophique : celui d’un État complice par omission, prêt à tolérer les pires crimes en son sein. À l’inverse, s’il prend ce dossier à bras-le-corps, il peut encore prouver que l’intérêt général et la justice prévalent sur les arrangements mafieux.

Déjà, le RHAJAC a exhorté la DCPJ à diligenter sans délai une enquête rigoureuse, impartiale et approfondie sur ce réseau criminel présumé. Cette organisation de journalistes anti-corruption – qui a pris le risque de dénoncer publiquement l’affaire – en appelle à la responsabilité de l’État. Selon le RHAJAC, il est urgent de briser la loi du silence qui entoure cette affaire et de dissiper les zones d’ombre qui sapent la confiance des citoyens dans leurs institutions. Chaque jour sans action est un jour où l’impunité se renforce et où de potentielles victimes supplémentaires pourraient être à déplorer.

Appel à la justice indépendante et à la communauté internationale

Face à la gravité de la situation, beaucoup au sein de la société civile estiment que seule une justice indépendante pourra faire la lumière sur ce scandale. Dans un pays où les institutions judiciaires sont fréquemment minées par la corruption et les pressions politiques, la nécessité d’un organe d’enquête libre de toute ingérence n’a jamais semblé aussi cruciale. Des juristes et militants suggèrent la formation d’une commission spéciale d’enquête, incluant éventuellement des observateurs internationaux, pour garantir l’impartialité des investigations. Il en va de la crédibilité des autorités : toute tentative de noyer le poisson – ou en l’occurrence l’anguille – serait vécue comme une trahison supplémentaire envers la population.

L’attente envers la communauté internationale est également forte. Haïti, plongée dans une crise multidimensionnelle, bénéficie déjà de l’attention (sinon de l’ingérence) de divers partenaires étrangers sur les volets humanitaire, sécuritaire et politique. Il est temps, soulignent des voix citoyennes, que ces partenaires – Nations Unies, organisations régionales, pays amis – se préoccupent aussi du dossier du trafic d’organes. Une pression diplomatique pourrait être exercée pour encourager les autorités haïtiennes à agir avec transparence. De même, un soutien technique d’organismes internationaux spécialisés dans la lutte contre la traite d’êtres humains ne serait pas de trop pour aider à démanteler un éventuel réseau transnational opérant en Haïti. La solidarité internationale est d’autant plus attendue que ce trafic, s’il est avéré, constitue une atteinte grave aux droits humains fondamentaux, qui dépasse le seul cadre national.

En dernier ressort, c’est la justice – au sens le plus noble – que réclament les Haïtiens. Justice pour les familles dont des proches ont disparu mystérieusement, justice pour ces enfants qui grandiront avec un seul rein et l’angoisse de ce qui leur a été fait, justice pour tout un peuple trop souvent victime de prédateurs en col blanc ou en treillis. “La vie haïtienne n’est pas à vendre”, martèlent des activistes, dénonçant la marchandisation ultime que représente le trafic d’organes. Ils appellent à une prise de conscience nationale et internationale pour que plus jamais pareille horreur ne puisse se produire dans l’ombre.

Briser l’omerta ou basculer dans l’inhumain ?

L’affaire du trafic d’organes dissimulé derrière le commerce des anguilles place Haïti à la croisée des chemins. Soit le gouvernement de transition, mené par Fritz Jean et ses pairs, brise l’omerta en menant une action résolue – enquêtes, poursuites judiciaires, protection des lanceurs d’alerte et des témoins –, soit le pays s’enfonce encore davantage dans l’inhumain et l’illégal. Il y va de la responsabilité de ceux qui gouvernent aujourd’hui, mais aussi de la survie morale de la nation haïtienne.

Chaque jour qui passe sans action renforce le sentiment que l’État de droit recule. À l’inverse, une réponse forte et transparente redonnerait un souffle d’espoir à une population épuisée par les abus. Le président du CPT, Fritz Alphonse Jean, osera-t-il ordonner une enquête publique et indépendante jusqu’au bout ? La Police judiciaire aura-t-elle les coudées franches pour remonter la filière, quitte à exposer des personnalités intouchables ? Le système judiciaire pourra-t-il fonctionner sans interférence politique dans un dossier impliquant d’éminents responsables ?

Autant de questions pressantes qui attendent des réponses concrètes. En Haïti, plus que jamais, l’heure est à la vérité et à la justice. Si les faits dénoncés sont avérés, il faut que les coupables – quels que soient leur rang et leurs protections – soient identifiés, jugés et punis. Dans le cas contraire, l’inaction équivaudra à une complicité de fait, ouvrant la voie à la prospérité de ce réseau mafieux tout comme l’ont fait les silences coupables ayant permis aux gangs de s’ériger en puissances locales.

Haïti peut-elle se permettre un tel déni de justice ? La communauté internationale continuera-t-elle d’ignorer ces signaux d’alarme ? Le peuple haïtien, lui, retient son souffle. Entre peur et colère, il attend des actes forts. Car dans ce pays meurtri, la soif de justice est à la mesure de l’horreur des crimes allégués. Il en va de l’honneur de tout un État de prouver que le pire n’est pas tolérable et que, cette fois, la lumière l’emportera sur les ténèbres des trafics clandestins.

Enquête à suivre, car l’histoire – et la vie de nombreux innocents – en dépend.


📚 Sources & Références


Haiti 24
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